- Accueil
- Blog
Blog
Le 01/07/2020
Par une décision n° 418178 du 6 novembre 2019, le Conseil d’Etat apporte d’utiles précisions sur le régime de la des radiations des cadres prononcées à l’encontre des fonctionnaires exerçant dans un établissement scolaire en cas de une condamnation pour crime ou délit contraire aux mœurs, sans pour autant lever les doutes quant à la procédure applicable à ces décisions.
En effet, il convient de rappeler qu’en vertu de l’article L. 911-5 du code de l’éducation, il n’est pas possible d’être employé dans un établissement scolaire si l’on a été condamné pour un « crime ou délit contraire à la probité et aux mœurs ».
Dès lors, si le fonctionnaire est condamné au cours de sa carrière, il doit être radié des cadres. Cette condition primordiale à son employabilité n’étant plus remplie, il ne peut être maintenu dans les effectifs.
Toutefois, la nature exacte de cette décision et le régime auquel elle est soumise demeurent partiellement indéfinis.
- Concernant sa nature, la décision commentée apporte d’utiles précisions
En effet, la décision commentée, telle qu’éclairée par les conclusions du rapporteur public Raphaël Chambon, tranche la qualification de la décision de radiation des cadres prise en raison d’une telle condamnation.
1. Le Conseil d’Etat considère qu’il s’agit d’une décision recognitive et non d’une décision prise en vertu d’une compétence liée.
Cette précision, qui peut paraître purement technique de prime abord a en réalité une importance non négligeable puisqu’elle détermine les moyens qu’il sera possible de soulever contre la décision de radiation des cadres du fonctionnaire. En effet, ces deux types de décisions se distinguent :
- Les décisions recognitives se « bornent à constater » une situation qui préexiste (comme le rappelle Raphaël Chambon dans ses conclusions).
- Les décisions prises dans le cadre d’une compétence liée sont celles adoptées lorsque l’administration n’a aucun choix et aucune marge d’appréciation sur la conduite à tenir (CE. Sect. 3 février 1999, M. Montaignac, n° 149722, publiée au Recueil).
Comme le souligne Raphaël Chambon dans ses conclusions, la jurisprudence antérieure du Conseil d’Etat était contradictoire sur ce point, certaines décisions considérant que ce type de radiation des cadres est une compétence liée (CE 17 juin 1960, Baudot, p. 405 ; CE. SSR. 22 mars 1999, Georges Q, n° 191393, publiée au Recueil) tandis que d’autres ont jugé qu’il s’agissait d’un décision recognitive (CE. SSR. 22 avril 1992, Jacky Y, n° 99671, mentionnée aux tables ; CE. SSR. 21 avril 2000, Patrick G, n° 197388, mentionnée aux tables).
Cette divergence se retrouve d’ailleurs assez logiquement dans la jurisprudence des juridictions du fond, comme cela était indiqué dans un précédent commentaire La condamnation pour crime ou délit contraire aux moeurs d'un agent exerçant dans un établissement scolaire (pour des arrêts retenant la compétence liée : CAA Versailles, 2 novembre 2006, n° 05VE00120 ; CAA Bordeaux, 8 mars 2011, n° 10BX01886 ; pour un arrêt retenant le caractère recognitif : CAA Paris, 3 avril 2014, n° 13PA00415).
Dans la décision commentée, sur proposition du rapporteur public Raphaël Chambon, le Conseil d’Etat retient que ce type de décision est une décision recognitive.
Autrement dit, il estime que dans cette hypothèse, l’administration se borne à constater, par la radiation des cadres, la disparition d’un lien qui n’existe déjà plus.
En effet, comme le fonctionnaire ne remplit plus, dès sa condamnation, une condition essentielle de son employabilité, le lien est – virtuellement – rompu dès cette condamnation.
La décision de radiation des cadres du fonctionnaire ne fait donc que « tirer les conséquences » de cette incapacité.
2. Le Conseil d’Etat en déduit qu’en l’espèce, la décision de radiation des cadres pouvait légalement être rétroactive.
La radiation du fonctionnaire avait eu lieu le 3 mars 2015 mais prenait effet à la date de la condamnation définitive (soit le 29 octobre 2014). C’est ce que critiquait le fonctionnaire radié et la cour administrative d’appel lui avait donné raison.
En effet, il est jugé de manière constante qu’en principe un acte réglementaire ne peut pas être rétroactif. Autrement dit, il ne peut pas réglementer le passé (CE. Ass. 25 juin 1948, SARL du journal « L’Aurore », n° 94511, publiée au Recueil).
Toutefois, ce principe connaît des limites et notamment pour les décisions recognitives.
Comme ces décisions sont regardées comme ne faisant que prendre acte d’une situation préexistante, elles peuvent légalement réglementer le passé.
Dès lors, en l’espèce, le Conseil d’Etat censure l’arrêt de la cour et juge que la décision de radiation du fonctionnaire pouvait prendre effet à une date antérieure à son édiction (ce qui a pour conséquence pratique d’imposer le reversement par le fonctionnaire des salaires qu’il a perçus dans l’intervalle).
- Concernant son régime, la décision commentée laisse le débat ouvert
Comme l’indiquait le commentaire précédent, la question des moyens qui peuvent être soulevés à l’encontre de ces décisions de radiation des cadres reste en suspens.
En effet, il est désormais clair (sous réserve d’un nouveau revirement de jurisprudence) que les décisions de radiation des cadres prises à la suite d’une condamnation pour un crime ou délit contraire aux bonnes mœurs sont des décisions recognitives.
Les conclusions de Raphaël Chambon apportent d’utiles précisions sur le raisonnement en deux temps de l’administration :
- Dans un premier temps, elle porte une appréciation sur la nature de la condamnation, pour déterminer si elle est contraire à la probité ou aux bonnes mœurs.
- Dans un second temps, elle prend la décision recognitive de radiation des cadres dans laquelle elle tire les conséquences de l’incapacité.
Mais il n’est toujours pas déterminé avec clarté si le premier temps de la décision suppose la motivation de la décision et la communication du dossier à l’agent.
C’est ce qu’avait jugé la cour administrative d’appel de Paris dans deux arrêts (CAA Paris, 24 septembre 2013, n° 11PA05024 ; CAA Paris, 3 avril 2014, n° 13PA00415), en estimant que – même recognitive – la décision était en décision défavorable prise en considération de la personne puisqu’elle conduisait à la radiation de l’agent. Elle en a déduit que la qualification de condamnation contraire à la probité ou aux bonnes mœurs ne pouvait intervenir sans communication préalable de son dossier à l’agent et sans motivation de la qualification de condamnation « contraire à la probité et aux mœurs ».
Cette position apparaît logique dans la mesure où si le raisonnement débouche sur une décision recognitive, la première partie du raisonnement est, quant à elle, une qualification classique et constitue un acte défavorable à l’agent.
Toutefois, cette solution n’est confirmée ni par la décision du Conseil d’Etat (mais cette question ne lui était pas soumise) ni par les conclusions du rapporteur public qui n’abordent pas ce point.
Il est donc probable que la radiation des cadres pour la condamnation d’un fonctionnaire pour un crime ou délit « contraire à la probité et aux mœurs » continue à donner lieu à des litiges soumis au Conseil d’Etat.
Le 15/06/2020
Une décision n° 412440 du 8 novembre 2019 du Conseil d’Etat met en exergue l’importance du libellé des décisions de la CDAPH.
1. En effet, dans cette affaire, était en cause le défaut de scolarisation d’une jeune fille en situation de handicap pendant deux ans.
Tout d’abord scolarisée à l’institut régional de jeunes sourds de Poitiers, elle avait ensuite été orientée par la commission des droits et de l'autonomie des personnes handicapées (CDAPH) vers un parcours en « établissement d'éducation sensorielle pour déficients auditifs » mais sans que la décision de la CDAPH ne désigne d’établissement déterminé.
Les parents de cette enfant n’avaient alors pas pu l’inscrire, pendant deux ans, de sorte qu’elle avait été déscolarisée.
Ils ont donc recherché la responsabilité de l’Etat du fait de cette situation en raison de son obligation de mettre en œuvre les moyens nécessaires pour assurer de manière effective le droit à l’éducation et l’obligation scolaire pour les enfants atteints de handicap.
2. En effet, il convient de rappeler que l’Etat a l’obligation d’assurer la scolarisation des enfants atteints de handicap au même titre que les autres enfants, sans qu’il puisse se prévaloir de l’insuffisance des places disponibles (voir sur ce point : L'Etat est responsable de l'absence de place adaptée pour un enfant handicapé).
Il est désormais jugé de manière claire que les difficultés rencontrées par ces enfants et le manque de places dans des structures adaptées (CE. SSR. 8 avril 2009, n° 311434, publiée au Recueil) ne peut justifier leur absence de scolarisation.
Il a également été précisé que la responsabilité de l’Etat pour sa carence est engagée dans l’hypothèse où la CDAPH ne prend pas de décision d’orientation à l’égard d’un enfant lorsque cette absence de décision de la CDAPH est fondée sur l’insuffisance des structures d’accueil (CE. SSJS. 29 décembre 2014, n° 371707).
3. Toutefois, dans la décision commentée, et malgré l’absence de scolarisation de l’enfant pendant deux ans, le Conseil d’Etat écarte la responsabilité de l’Etat.
Pour cela, il se fonde sur deux éléments :
- D’une part, il estime que l’Etat ne peut voir sa responsabilité engagée du fait des décisions prises par la CDAPH au nom de la maison départementale des personnes handicapées (MDPH).
- D’autre part, il relève que, dans cette affaire, la CDAPH s’était abstenue de désigner un établissement adapté aux besoins de l’enfant en l’orientant vers un parcours en « établissement d'éducation sensorielle pour déficients auditifs ».
Dans ces conditions, il estime que l’absence de scolarisation de l’enfant n’est pas due à une carence de l’Etat mais à une insuffisance de la décision de la CDAPH, dont il n’est pas responsable.
Le Conseil d’Etat va d’ailleurs plus loin en considérant que l’Etat :
- N’avait pas la compétence pour orienter l’enfant vers un établissement ou un service donné,
- N’avait pas la compétence pour imposer l’inscription d’un enfant à un établissement tel que l'Institut régional de jeunes sourds de Poitiers (qui est un établissement géré par une association et non par les pouvoirs publics, bien qu’il soit en charge d’un service public).
Autrement dit, la compétence dévolue à la CDAPH par les articles L. 351-1 et 351-2 du code de l’éducation pour l’orientation des enfants atteints de handicap et la désignation des établissements est exclusive. De sorte que l’Etat ne peut pas se substituer à la CDAPH en cas d’un insuffisant exercice de sa compétence.
Cette affirmation est quelque peu contradictoire avec l’affirmation de principe rappelée par le Conseil d’Etat au début de sa décision selon laquelle « il incombe à l'Etat, au titre de sa mission d'organisation générale du service public de l'éducation, de prendre l'ensemble des mesures et de mettre en œuvre les moyens nécessaires pour que ce droit et cette obligation aient, pour les enfants handicapés, un caractère effectif ».
Ainsi, il y a donc en réalité une limite à cette obligation générale de l’Etat, à savoir les compétences qu’il a décidé de confier à d’autres autorités.
4. Dès lors, cette affaire montre l’importance de la rédaction des décisions de la CDAPH.
En effet, celle-ci doit bien prendre soin de désigner les établissements susceptibles de recevoir l’enfant en vertu de l’article L. 351-2 du code de l’éducation, ou d’indiquer qu’elle ne désigne aucun établissement en l’absence de place disponibles.
A défaut, l’Etat pourra rejeter, comme en l’espèce, la responsabilité de l’absence de scolarisation sur la CDAPH dont la responsabilité ne relève pas – comme l’indique ici le Conseil d’Etat – de la compétence du juge administratif, mais du juge judiciaire.
Le Conseil d’Etat précise les différentes possibilités de suspension des PUPH
Le 01/06/2020
Par une décision n° 422922 du 5 février 2020, le Conseil d’Etat a eu l’occasion de rappeler et de préciser les pouvoirs de suspension dont disposent l’université, le centre hospitalier, l’ARS et les ministres de tutelle à l’égard des professeurs des universités - praticiens hospitaliers (PUPH).
En effet, les PUPH, comme tous les fonctionnaires (voir l’article La suspension dans la fonction publique), peuvent faire l’objet d’une suspension à titre conservatoire. Mais la spécificité de leurs fonctions, à la fois médicales et universitaires les placent dans une situation particulière et sous l’autorité de plusieurs administrations.
Dans l’affaire dont a eu à connaître le Conseil d’Etat, était en cause une PUPH accusée par de nombreux collègues d’un harcèlement moral à l’originee d’une dégradation des conditions de travail et des activités universitaires.
Après un rapport de l’inspection générale sur son comportement, l’intéressée avait fait l’objet de plusieurs suspensions de fonctions :
- Celle du président de l’université pour ses fonctions universitaires,
- Celle du directeur du centre hospitalier pour ses fonctions médicales,
- Celle prononcée conjointement par les ministres de l’éducation et de la santé.
Ces trois décisions ont été contestées par la PUPH. In fine, seule l’une de ces décisions est annulée. Mais cette décision est surtout l’occasion pour le Conseil d’Etat de rappeler les conditions dans lesquelles peut intervenir la suspension d’un PUPH et la réparation des compétences entre les différentes autorités.
- La suspension par l’université
La suspension peut tout d’abord intervenir sur les fonctions universitaires du PUPH. Cela n’affecte pas en principe ses activités médicales mais uniquement ses fonctions d’enseignement.
Dans la décision commentée, le Conseil d’Etat rappelle que cette suspension peut intervenir sur le fondement de l’article L. 951-4 du code de l’éducation à deux conditions cumulatives :
- Que les faits imputés à l’agent aient un caractère de vraisemblance et de gravité suffisant (CE. SSR. 10 décembre 2014, n° 363202, mentionnée aux tables ; CE. CHS. 24 décembre 2019, n° 428099 – voir le commentaire). Il s’agit là d’une simple transposition de la condition posée par l’article 30 de la loi du 13 juillet 1983 dans le silence des textes.
- Que la poursuite des activités de cet agent au sein de l’établissement présente des inconvénients « suffisamment sérieux » pour le service ou pour le déroulement des procédures en cours (CE. CHR. 30 mai 2018, n° 418844 ; CE. CHR. 18 juillet 2018, n° 418844, publiée au Recueil).
Ainsi, à la différence des autres fonctionnaires, il ne suffit pas que les faits imputés au fonctionnaire soient suffisamment vraisemblables et graves, il faut également qu’ils perturbent le service.
- La suspension par l’ARS
L’agence régionale de santé (ARS) peut également suspendre, en cas d’urgence, sur le fondement de l’article L. 4113-14 du code de la santé publique, l’autorisation d’exercer d’un PUPH dans l’hypothèse où il expose ses patients à un danger grave.
Ce type de suspension n’a donc rien à voir avec le caractère fautif du comportement d’un PUPH à l’égard, par exemple, de ses collègues.
Cette suspension est tournée vers la santé des patients et uniquement vers elle. Ce n’est que quand ces derniers sont face à un grave danger constitué par le médecin en cause que l’ARS peut suspendre en urgence l’autorisation d’exercer du médecin.
- La suspension par les ministres de tutelle
Comme cela ressort des développements qui précèdent, un PUPH peut, d’une part, faire l’objet d’une suspension de ses fonctions universitaires, comme tout autre fonctionnaire dans l’attente d’une procédure disciplinaire et, d’autre part, être suspendu de ses fonctions médicales par l’ARS si son exercice fait peser un grave danger sur ses patients.
En plus de ces textes généraux qui s’appliquent, pour les premiers, à tous les membres de l’enseignement supérieur et, pour les seconds, à tous les médecins, il existe un texte spécifique pour les PUPH.
En effet, l’article 25 du décret n° 84-135 du 24 février 1984 prévoit également une possibilité de suspension, cette fois générale, de l’ensemble des fonctions d’un PUPH en cas de procédure disciplinaire à son encontre.
Dans cette hypothèse, les ministres de l’éducation et de la santé peuvent décider de suspendre le PUPH si « l'intérêt du service l'exige ».
Ainsi, dans ce cas, la suspension est encore soumise à des conditions différentes, qui sont les suivantes :
- L’agent doit faire l’objet d’une procédure disciplinaire.
- L’intérêt du service exige sa suspension. Dans la décision commentée, le Conseil d’Etat estime que la « profonde dégradation des conditions de travail » justifie l’intérêt du service de cette suspension.
- Il n’est pas certain qu’il soit nécessaire de démontrer l’existence d’une faute suffisamment grave et vraisemblable. En effet, cette condition est généralement exigée (CE. SSR. 10 décembre 2014, n° 363202, mentionnée aux tables) et le Conseil d’Etat en a déjà fait application pour la suspension mentionnée à l’article 25 du décret du 24 février 1984 (CE SSR. 15 décembre 2000, M. X et Syndicat des professeurs hospitalo-universitaires, n° 194807, publiée au Recueil). Mais il ne la reprend pas expressément dans la décision commentée. L’on peut donc s’interroger sur sa pérennité (même si sa disparition ne paraitrait pas conforme à l’esprit de sa jurisprudence).
Dans ce type d’hypothèse, les ministres peuvent suspendre le PUPH.
- La suspension par la direction du centre hospitalier
Une quatrième et dernière possibilité de suspension est prévue par la jurisprudence.
En effet, le Conseil d’Etat a considéré de longue date que le centre hospitalier pour lequel travaille le médecin peut, même sans texte, le suspendre (CE. SSR. 4 janvier 1995, CHG de Bagnols-sur-Cèze, n° 128490, mentionnée aux tables ; CE SSR. 15 décembre 2000, M. X et Syndicat des professeurs hospitalo-universitaires, n° 194807, publiée au Recueil).
La reconnaissance de ce pouvoir n’a, en soi, rien de surprenant car l’administration dispose de nombreux pouvoir, même sans texte, pour prendre des mesures conservatoires de protection du service ou des usagers dans l’attente d’une sanction (CAA Lyon, 18 mars 2014, M. D c. France Télécom, n° 13LY00275 ; CAA Paris, 26 juin 2007, Mme Froidurot, n° 05PA01294 ; CAA Versailles, 14 mars 2006, M. Souleymane Toure, n° 03VE02879 ; CAA Paris, 28 décembre 2005, Mme Gonnet, n° 02PA02984).
Toutefois, au cas présent, ce pouvoir est soumis à des conditions très strictes précisées dans la décision commentée. En effet, le Conseil d’Etat indique que ce pouvoir de suspension reconnu sans texte ne peut être mis en œuvre que dans des « circonstances exceptionnelles ».
Autrement dit, ce type de suspension ne peut intervenir que dans des hypothèses extrêmement limitées. Le Conseil d’Etat pose trois conditions cumulatives à cette suspension :
- Une mise en péril imminente de la continuité du service,
- Une mise en péril imminente de la sécurité des patients,
- Une information immédiate des autorités de nomination (autrement dit des ministres).
Ainsi, ce type de suspension ne peut être mis en œuvre qu’en cas d’extrême urgence, si un médecin constitue un réel danger et qu’il n’est pas possible d’attendre que les autorités compétentes à l’égard de ce médecin aient pris une décision le concernant.
- Application à l’affaire soumise au Conseil d’Etat
Dans le dossier dont le Conseil d’Etat avait à connaître, 3 des 4 pouvoirs de suspension avaient été mis en œuvre. En effet, la PUPH avait été suspendue par :
- L'université,
- Le centre hospitalier,
- Les ministres.
Deux de ces trois décisions sont confirmées. En effet, le Conseil d’Etat considère, d’une part, que les nombreux témoignages quant au comportement de la PUPH en question rendaient ses fautes suffisamment graves et vraisemblables, d’autre part, que le service a été suffisamment perturbé par ces faits. Il considère donc que l’université puis les ministres pouvaient la suspendre de ses fonctions dans l’attente de l’issue de la procédure disciplinaire.
En revanche, la suspension décidée par le centre hospitalier (qui ne pouvait être prononcée qu’en cas de circonstances exceptionnelles tenant au danger pour la continuité du service et à la sécurité des patients) est annulée.
En effet, le Conseil d’Etat considère que le maintien de cette PUPH dans son service médical ne menaçait pas la sécurité des patients et la continuité du service.
Cela démontre donc que, pour ce type très particulier de suspension, les conditions d’application sont extrêmement strictes.
Le 15/05/2020
Par un arrêt n° 19NT01513 du 10 janvier 2020 la cour administrative d’appel de Nantes semble prendre le contrepied de la jurisprudence du Conseil d’Etat en matière d’infractions routières et de naturalisation.
En effet, au vu de la jurisprudence du Conseil d’Etat, l’on peut considérer que les infractions routières « anciennes », de plus de quatre ans à la date de la décision (voir sur ce point le commentaire de la décision CE. CHR. 30 janvier 2019, n° 417548, mentionnée aux tables), ne peuvent plus être opposées au demandeur à la naturalisation (CE. SSR. 28 avril 2014, n° 372679, publiée au Recueil).
Dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt de la cour, était en cause un délit de conduite sans permis de conduire, intervenu 6 ans avant la date de la décision de refus de naturalisation.
Le tribunal administratif de Nantes avait annulé le refus de naturalisation au vu des standards rappelés ci-dessus en matière de délits routiers et de naturalisation.
La cour censure ce jugement en estimant que :
- L’infraction était d’une « gravité certaine »,
- L’infraction avait un caractère « encore récent ».
Elle semble donc faire preuve dans cette affaire de davantage de sévérité que le Conseil d’Etat qui a exposé sa position dans un certain nombre de décisions (CE. CHR. 30 janvier 2019, n° 417548, mentionnée aux tables ; CE. SSR. 28 avril 2014, n° 372679, publiée au Recueil).
Le 01/05/2020
Par une décision n° 428099 du 24 décembre 2019, le Conseil d’Etat estime que l’ex-doyen de l’université de Montpellier, qui avait été suspendu de ses fonctions à la suite des violences intervenues au sein de l’université au cours de la nuit des 22 et 23 mars 2018, pouvait voir cette suspension prolongée pendant près d’un an.
Dans cette affaire, sont en cause les événements qui se sont déroulés à l’université de Montpellier à l’occasion des mouvements contre la réforme des universités en mars 2018.
En effet, au cours de ces mouvements étudiants, l’université de Montpellier a été occupée par les étudiants et, dans la nuit du 22 et 23 mars 2018, ces derniers ont été attaqués par des personnes cagoulées armées de bâtons et de matraques.
Des soupçons avaient alors très vite été portés sur le doyen de la faculté de droit et sur différents enseignants, qui auraient facilité voire participé aux actions violentes contre les étudiants occupant l’université.
Ces soupçons avaient d’ailleurs été rapidement confirmés par l’administration à travers un rapport de l’inspection générale de l’éducation nationale.
Aussi, le doyen de l’université avait été suspendu de ses fonctions sur le fondement de l’article L. 951-4 du code de l’éducation qui permet de suspendre, pendant une durée maximale d’an, un enseignant.
Deux conditions cumulatives sont posées pour une telle suspension :
- Que les faits imputés à l’agent aient un caractère suffisant de vraisemblance et de gravité (CE. SSR. 10 décembre 2014, n° 363202, mentionnée aux tables). Il s’agit d’une transposition de la condition posée par l’article 30 de la loi du 13 juillet 1983.
- Que la poursuite des activités de cet agent au sein de l’établissement présente des inconvénients « suffisamment sérieux » pour le service ou pour le déroulement des procédures en cours (CE. CHR. 30 mai 2018, n° 418844 ; CE. CHR. 18 juillet 2018, n° 418844, publiée au Recueil).
Au cas présent, était en cause non pas la suspension en elle-même mais le maintien de cette suspension.
En effet, une première suspension avait été prononcée le 28 mars 2018 (soit quelques jours après les faits) et avait été prolongée plusieurs fois et, une dernière fois le 20 décembre 2018 pour trois mois.
C’est cette ultime suspension que le doyen contestait devant le Conseil d’Etat.
Toutefois, ce dernier estime que les deux conditions mentionnées ci-dessus sont remplies :
- D’une part, les faits imputés au doyen sont suffisamment vraisemblables et graves. La Haute juridiction se fonde, pour ce faire, sur le rapport de l’inspection générale de l’administration de l’éducation nationale.
- D’autre part, l’émotion suscitée par ces événements était encore vive plusieurs mois après les faits de sorte que le « déroulement normal des activités d’enseignement au sein de l’université » rendait nécessaire le maintien de cette suspension.
Cette première décision du Conseil d’Etat dans cette affaire médiatique ne devrait pas être la dernière.
En effet, des sanctions, actuellement portées devant le Conseil national de l’enseignement supérieur et de la recherche (CNESER), ont été prononcée contre le doyen et certains professeurs. Nul doute qu’elles seront, in fine, soumises au Conseil d’Etat.
Droit de retrait des enseignants et coronavirs (Codiv-19)
Le 17/04/2020
Voici mon intervention dans le journal Marianne à propos de l'exercice du droit de retrait des enseignants au moment du déconfinement, en raison du Codiv-19 (coronavirus) : https://www.marianne.net/societe/reouverture-des-ecoles-pourquoi-il-sera-delicat-pour-les-enseignants-de-faire-valoir-leur
Le handicap n’est pas un motif valable de refus de naturalisation
Le 15/04/2020
Par une décision n° 421050 du 29 novembre 2019, le Conseil d’Etat estime qu’il n’est pas possible de fonder un refus de naturalisation sur une maladie, un handicap, ou sur l’insuffisance des ressources du demandeur, si cette insuffisance résulte de son handicap.
Cette affirmation de principe constitue une avancée mais montre, d’emblée, ses limites.
En effet, la question du handicap dans la naturalisation a fait l’objet de quelques décisions de principe par le passé.
● Ainsi, dans un premier temps, le Conseil d’Etat avait considéré qu’il était possible de tenir compte de l’état de santé du demandeur pour refuser sa naturalisation mais pas de se fonder exclusivement sur son handicap si ce dernier n’avait pas d’incidence sur son intégration notamment professionnelle (CE. SSR. 26 septembre 2001, Ministre de l’emploi c. Mme Farida X, n° 206486, mentionnée aux tables).
Autrement dit, à cette époque, il était possible de se fonder sur le handicap d’une personne pour refuser sa naturalisation si ce handicap l’empêchait de travailler et donc de « s’intégrer » professionnelle.
Cette position était donc assez discriminatoire mais constituait une petite avancée par rapport à l’état du droit antérieur qui permettait une totale discrimination.
● Dans un deuxième temps, le Conseil d’Etat a jugé que l’administration ne pouvait se fonder, pour rejeter une demande de naturalisation, exclusivement sur le handicap d’une personne ou sur la circonstance que cette dernière ne disposait pas de revenus propres et vivait uniquement des aides liées à son handicap (CE. SSR. 11 mai 2016, n° 389399, mentionnée aux tables).
● La décision commentée constitue le troisième temps du raisonnement.
En effet, dans cette décision, le Conseil d’Etat :
▪ D’une part, fait disparaître le terme « exclusivement » de sa jurisprudence antérieure. Plus précisément, il pouvait être déduit de la rédaction antérieure des décisions que si l’administration ne pouvait pas se fonder « exclusivement » sur le handicap d’une personne pour justifier un refus de naturalisation, cet élément pouvait néanmoins être utilisé pour justifier un refus.
Par la nouvelle rédaction retenue, la Haute juridiction lève tout doute sur le sens et la portée de la jurisprudence en indiquant désormais sans ambiguïté qu’il n’est pas possible de se fonder sur le handicap ou la maladie d’une personne pour refuser de la naturaliser, même de manière incidente.
▪ D’autre part, s’agissant des revenus, le Conseil d’Etat indique qu’il appartient à l’autorité étatique de s’interroger pour déterminer si la faiblesse des revenus du demandeur à la naturalisation est « directement » liée à son handicap.
Si la faiblesse des revenus est liée au handicap ou à la maladie du demandeur, il n’est pas possible de le lui opposer. En revanche, si le demandeur à la naturalisation ne parvient pas à démontrer que la faiblesse de ses revenus est liée à son état de santé, alors cela peut lui être opposé.
Cette seconde précision ouvre donc la voie à une analyse (nécessairement délicate) de la situation des requérants.
En effet, et autrement dit, il ne suffit pas que les demandeurs à la naturalisation soient atteints par un handicap pour que les conditions tenant aux revenus et à l’intégration professionnelle ne leur soient pas opposables. Et la perception d’allocations de compensation du handicap ne suffit pas à faire regarder les faibles revenus du demandeur comme étant « directement » liés à son handicap.
Le Conseil d’Etat ne donne pas de méthode pour apprécier ce lien entre faibles revenus et handicap mais les conclusions de Guillaume Odinet sur cette décision indiquent que « la perception d’allocations de compensation du handicap » sera « un élément probant particulier » sans créer de présomption automatique.
Il faudra donc que les juridictions examinent, en détail, chaque demande émanant de personnes en situation de handicap pour déterminer si la faiblesse de leurs revenus est « directement » liée à leur handicap.
L’appartenance à une association liée au FPLP justifie un refus de naturalisation
Le 01/04/2020
Par un arrêt n° 18NT04125 du 8 novembre 2019, la cour administrative d’appel de Nantes estime que l’appartenance à une association affiliée au FPLP, même si le postulant affirme qu’il a cessé d’appartenir à cette association, permet de refuser la naturalisation du demandeur pour « défaut de loyalisme » envers la France.
Dans cette affaire, était en cause un demandeur, membre actif de plusieurs associations palestiniennes pendant plusieurs années, qui s’était vu refuser sa naturalisation au motif tiré de son absence de loyalisme envers la France.
Plus précisément, le ministre s’était fondé sur les « renseignements défavorables » obtenus sur le demandeur pour refuser sa naturalisation.
En effet, il convient de rappeler qu’il est possible, selon la jurisprudence du Conseil d’Etat, de se fonder sur des renseignements défavorables obtenus sur un demandeur pour refuser sa naturalisation (CE. SSR. 30 avril 1993, Ministre de la solidarité c. époux X, n° 116146), étant précisé que ces « renseignements », qui peuvent par exemple émaner de la police, n’ont pas à être démontrés par une quelconque condamnation.
Dès lors, leur champ d’application est particulièrement large et mal défini.
Dans l’affaire jugée par la cour administrative d’appel de Nantes, le demandeur à la naturalisation était accusé d’appartenir à différentes associations de jeunes palestiniens affiliées au Front populaire pour la libération de la Palestine (FPLP).
Ce dernier ne contestait pas y avoir appartenu mais contestait continuer à y appartenir.
Bien que les services de l’Etat ne démontrent pas la persistance de son appartenance à ces associations au-delà de 2014, la cour retient que cette appartenance est démontrée.
A cet égard, la décision est intéressante du point de vue de la charge de la preuve dans la mesure où la cour retient que « s'il soutient, en revanche, avoir cessé d'appartenir à cette association, il n'apporte aucun élément à l'appui de ses allégations ».
Ce faisant, la cour inverse la charge de la preuve et considère que dès lors que l’Etat affirme que l’intéressé appartient toujours à ces associations, il incombe au requérant de démontrer qu’il n’y appartient plus. Cette position est pour le moins étonnante dans la mesure où l’Etat se fondant sur cet élément, contesté, pour justifier sa décision, il appartenait en principe à ce dernier de démontrer que ses allégations étaient fondées.
La cour relève ensuite que ces associations étaient affiliées au FPLP qui est inscrit sur la liste européenne des organisations terroristes.
Elle en déduit donc que le ministre n’a pas commis d’erreur de fait en retenant ces renseignements défavorables.