La suspension dans la fonction publique

La suspension de fonction, qui existe dans les trois fonctions publiques (fonction publique d’Etat, fonction publique territoriale et fonction publique hospitalière), est un outil puissant pour l’administration. Cette mesure par nature provisoire dispose d’effets importants puisqu’elle éloigne le fonctionnaire de son service. Elle mérite donc que l’on s’y attarde pour déterminer dans quelles hypothèses elle peut être mise en place et voir quels sont ses effets.

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I. Qu’est-ce que la suspension de fonctions ?

L’article 30 de la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 qui s’applique aux trois fonctions publiques (Etat, territoriale et hospitalière) prévoit qu’« en cas de faute grave commise par un fonctionnaire, qu’il s’agisse d’un manquement à ses obligations professionnelles ou d’une infraction de droit commun, l’auteur de cette faute peut être immédiatement suspendu ».

Cet article permet donc, à titre provisoire et conservatoire, de suspendre un fonctionnaire de ses fonctions s’il a commis une faute grave (que cette faute soit ou non constitutive d’une infraction).

Il convient à ce stade de distinguer selon que l’agent fait, ou non, l’objet de poursuites pénales. En effet, comme indiqué ci-dessus, la suspension concerne tant les fautes graves commises par l’agent que les éventuelles infractions de droit commun dont il s’est rendu coupable.

A. Cas général : l’absence de poursuites pénales

L’utilisation de la suspension doit en principe être limitée aux cas des fautes les plus graves puisqu’elle permet de priver un fonctionnaire de ses fonctions ou de l’éloigner vers un autre service. Or, cette mesure intervient alors que l’agent n’a pas encore été sanctionné.

Ce pouvoir de l’administration se justifie par la nécessité de préserver la sérénité du service et de protéger ses agents (qu’il s’agisse des collègues de l’agent concerné ou l’agent lui-même).

Toutefois, et du fait de ce caractère radical de la suspension, ce mécanisme est en principe limité à quatre mois.

L’autorité hiérarchique doit donc s’être prononcée sur la sanction à infliger à l’agent avant l’expiration du délai de quatre mois, à défaut de quoi, l’agent est rétabli dans ses fonctions.

Aussi, la suspension, bien que radicale, intervient pour une période limitée dans le temps.

B. Une suspension plus contraignante en cas de poursuites pénales

Dans l’hypothèse où des poursuites pénales sont diligentées contre l’agent dans le délai de quatre mois suivant la suspension, ladite suspension ne prend pas nécessairement fin à l’expiration du délai de quatre mois.

En effet, l’article 30 de la loi du 13 juillet 1983 précise que si l’agent : « fait l’objet de poursuites pénales et que les mesures décidées par l’autorité judicaire ou l’intérêt du service n’y font pas obstacle, il est également rétabli dans ses fonctions à l’expiration du même délai. Lorsque, sur décision motivée, il n’est pas rétabli dans ses fonctions, il peut être affecté provisoirement par l’autorité investie du pouvoir de nomination, sous réserve de l’intérêt du service, dans un emploi compatible avec les obligations du contrôle judiciaire auquel il est, le cas échéant, soumis. A défaut, il peut être détaché d’office, à titre provisoire, dans un autre corps ou cadre d’emplois pour occuper un emploi compatible avec de telles obligations ».

Ainsi, le principe du terme de la suspension au bout de quatre mois demeure même dans l’hypothèse de poursuites pénales. Toutefois, ce principe connaît une importante limite.

En effet, l’administration peut décider, par acte motivé, de ne pas réintégrer l’agent à l’expiration du délai de quatre mois.

Cette décision doit être motivée par l’intérêt du service ou par les mesures prises par l’autorité judiciaire (en matière de contrôle judiciaire notamment) qui s’opposeraient à la réintégration.

Le pouvoir d’appréciation de l’administration est donc important, l’intérêt du service étant une notion relativement large.

En cas de persistance de la suspension, l’administration dispose de trois options.

Tout d’abord, ne pas réaffecter l’agent. Auquel cas, une retenue peut être opérée sur le traitement de l’agent dans une limite de 50 % du traitement.

Ensuite, l’agent peut être affecté dans un autre emploi, si l’intérêt du service et les obligations liées au contrôle judiciaire le permettent.

Enfin, il peut être détaché d’office dans un autre corps ou cadre, également compatible avec l’intérêt du service et les obligations du contrôle judiciaire.

Les options à la disposition de l’administration sont donc nombreuses.

L’on doit noter que dans l’hypothèse d’une suspension prolongée au-delà de quatre mois sans affectation avec réduction du traitement de moitié (jusqu’au terme de la procédure pénale), le caractère provisoire de la mesure est pour le moins discutable. En effet, dans ce cas, la suspension peut durer plusieurs années entre le début de l’enquête et la décision de condamnation définitive. De la sorte, le « provisoire » est alors voué à durer.

Par conséquent, l’on peut s’interroger sur l’opportunité et la nécessité de respecter les droits de la défense pour l’adoption d’une telle mesure de poursuite de la suspension sans affectation. Malgré son absence d’objet répressif, cette mesure pourrait, eu égard à ses effets, être qualifiée de sanction.

Certes, en l’état, aucune formalité garantissant les droits de la défense n’est exigée par la jurisprudence. De plus, la Cour européenne des droits de l’Homme est, pour l’instant, relativement souple en matière de mesures provisoires (CEDH. DR. 7 décembre 1999, M. Pewinski c. France, n° 34604/97 ; CEDH. DR. 14 décembre 1999, M. Mulot c. France, n° 37211/97).

Toutefois, étant donnés les effets durables et importants de la mesure, il serait préférable que l’agent soit, à tout le moins, mis à même de présenter ses observations avant l’édiction de la décision de prolongation de la suspension.

Cette rapide présentation de la suspension et des questions qu’elle soulève étant faite, il convient de se pencher sur les conditions de forme et de fond dans lesquelles elle peut être mise en œuvre.

 

II. Les conditions de forme de la suspension

Les exigences de forme à respecter dans le cadre d’une procédure de suspension immédiate sont, comme évoqué ci-dessus, particulièrement légères pour l’administration.

En effet, dès lors que la suspension est considérée comme une mesure provisoire et non comme une sanction (voir, notamment, en ce sens : CE. SSR. 31 mars 1989, M. Polese, n° 64592), la procédure disciplinaire classique n’a pas à être respectée.

Par suite, et assez logiquement, la décision n’a pas à être précédée de la saisine du conseil de discipline (CE, 1er décembre 1967, Sieur Bô, n° 67957, publiée au Recueil) et le principe de la présomption d’innocence lui est étranger (CE. SSR. 30 mars 2011, Centre hospitalier d’Arras, n° 318184).

Elle n’a pas non plus à être motivée (CE. SSR. 7 novembre 1986, M. Edwige, n° 59373, mentionnée aux tables ; CE. SSJS. 8 mars 2006, Mme Marguerite X, n° 262129) même lorsqu’une retenue sur traitement est opérée (CAA Marseille, 17 décembre 2013, n° 11MA00383).

Cette solution apparaît contestable dans la mesure où les décisions qui doivent être motivées en vertu de l’article L. 211-2 du code des relations entre le public et l’administration sont non-seulement les sanctions mais également les décisions qui « refusent un avantage dont l’attribution constitue un droit pour les personnes qui remplissent les conditions légales pour l’obtenir ».

Or, l’obtention d’une affectation est un droit pour un fonctionnaire (voir, notamment, sur ce point : CE. Ass. 11 juillet 1975, Ministre de l’éducation nationale c. Dame Saïd, n° 95293, publiée au Recueil ; CE. Sect. 6 novembre 2002, M. Guisset, n° 227147, publiée au Recueil, concl. J.-H. Stahl, RFDA 2003.984).

Par conséquent, dans la mesure où la suspension conduit à retirer toute affectation à un agent pendant une période parfois longue (s’il fait l’objet de poursuites pénales), l’absence de motivation apparaît critiquable.

Toutefois, en l’état, et sauf évolution, la motivation ne semble pas exigée par la jurisprudence.

La seule décision qui doit être motivée en vertu de l’article 30 de la loi du 13 juillet 1983 est la décision de prolongation de la suspension au-delà de quatre mois en cas de poursuites pénales.

En outre, l’agent n’a pas à être mis à même de solliciter son dossier administratif avant l’intervention d’une décision de suspension (voir, par exemple, en ce sens : CE. SSR. 7 novembre 1986, M. Edwige, n° 59373, mentionnée aux tables).

Ainsi, les exigences procédurales de la suspension sont particulièrement légères.

Dès lors, il apparaît que la seule règle de forme qui doit être respectée est celle relative à la compétence de l’auteur de l’acte (règle générale qui s’applique à toutes les décisions administratives).

Autrement dit, la décision de suspension doit être prononcée par l’autorité disposant du pouvoir disciplinaire. En dehors de cela, il n’existe pas d’obligation procédurale et ou formelle particulière.

 

III. Les conditions de fond de la suspension

Il existe deux conditions de fond à la mise en œuvre d’une suspension : la gravité de la faute reprochée et la vraisemblance de cette faute.

En effet, par essence, la suspension, qui est une mesure préventive, est prise avant que la faute soit certaine puisqu’elle intervient avant la sanction (qui seule établit la réalité de la sanction).

Dès lors, et eu égard à ses effets, il est logique qu’en l’absence de certitude sur la faute, cette mesure ne puisse pas être mise en œuvre pour tout soupçon de faute.

Il est nécessaire que cette faute, d’une part, soit d’une gravité suffisante et, d’autre part, soit suffisamment vraisemblable (voir, pour un rappel de ces deux conditions : CE. SSR. 10 décembre 2014, n° 363202, mentionnée aux tables).

Ces deux conditions cumulatives doivent être remplies pour que la suspension puisse être utilisée.

Aussi, dans l’hypothèse où la faute n’est pas suffisamment grave, la mesure de suspension est annulée. Il en va de la sorte si le comportement de l’agent révèle une inaptitude mais pas une faute grave (CE. Sect. 24 juin 1977, Dame Deleuse, n° 93480, 93481, 93482, publiée au Recueil).

A titre d’exemple, le fait pour un agent d’avoir pris la parole lors d’une commission alors qu’il lui avait été demandé, avant celle-ci, de se taire et qui s’est borné lors de son intervention à faire valoir un point de vue purement technique, n’est pas constitutif d’une faute grave. Par conséquent, cette prise de parole ne peut justifier une suspension (CAA Paris, 24 juin 2014, Gouvernement de Nouvelle-Calédonie c. Mme C, n° 13PA04140).

Il convient cependant de rappeler que la gravité de la faute peut ne pas ressortir d’un événement isolé mais de la répétition de comportements qui, pris isolément, n’auraient pas justifié de suspension. Ainsi, un agent faisant preuve d’un comportement d’insubordination et d’agressivité, générateur de tensions prolongées au sein du service, peut être suspendu dans l’attente d’une sanction (TA de Nouvelle-Calédonie, 2 avril 2015, Mme X c. OPT de Nouvelle-Calédonie, n° 1400440).

Toutefois, comme indiqué ci-dessus, la seule gravité de la faute reprochée ne suffit pas. Il est également nécessaire qu’elle soit suffisamment vraisemblable.

Même si l’objet d’une suspension n’est pas de se prononcer sur la réalité des fautes commises, elle ne peut pas être utilisée si les soupçons ne sont pas très sérieux à l’encontre de l’agent. En effet, la solution inverse ouvrirait la porte à toute sorte d’abus, permettant une suspension pour toute accusation même invraisemblable.

Ainsi, il a pu être jugé, à propos d’une accusation d’agression sexuelle fondée sur des témoignages imprécis et contradictoires dont l’un portait sur des faits qui se seraient déroulés plus d’un an avant (TA de Nouvelle-Calédonie, 30 octobre 2013, M. X c. Gouvernement de Nouvelle-Calédonie, n° 1300041) que les soupçons – à la date de la décision de suspension – n’étaient pas suffisamment vraisemblables pour justifier la suspension.

S’agissant de l’hypothèse de poursuites pénales, cette notion recouvre assez logiquement deux hypothèses : la poursuite par le procureur de la République et le dépôt d’une plainte avec constitution de partie civile puisque, dans ces deux hypothèses, l’action publique a été mise en mouvement (CE. SSR. 3 mai 2002, La Poste c. Mme Fabre, n° 239436, publiée au Recueil).

En revanche, cela ne concerne pas le cas dans lequel une simple plainte ou une enquête officieuse a été diligentée (CE. Sect. 19 novembre 1993, M. Vedrenne, n° 74235, publié au Recueil). Aussi, dans cette hypothèse, la suspension ne peut pas être prononcée.

Par suite, la condition de vraisemblance (en cas de faute grave ou de poursuites) doit être scrupuleusement respectée.

A défaut de remplir l’une de ces deux conditions de fond, la suspension est annulée.

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Avril 2017

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Date de dernière mise à jour : 09/10/2024