Comment fonctionne la discipline des architectes ?

Comme pour la plupart des professions réglementées, la profession d’architecte peut donner lieu à des plaintes déontologiques gérées par les conseils de l’ordre des architectes. Ces plaintes sont ensuite traitées par les chambres régionales de discipline des architectes, qui sont des juridictions. Pour comprendre cette procédure, il est nécessaire de répondre aux interrogations suivantes :  qui peut saisir la chambre régionale de discipline ? quels sont les droits des parties (plaignant et architecte) ? comment fonctionne la procédure ?

Les architectes inscrits à l’ordre des architectes sont, comme dans toutes les professions réglementées, soumis à un certain nombre de règles éthiques et déontologiques.

Assez classiquement, les manquements à ces règles peuvent donner lieu à des sanctions à l’encontre de ces architectes.

La présente étude a donc pour objet de présenter la procédure disciplinaire devant les chambres régionales de discipline des architectes.

En effet, ce ne sont ni les conseils régionaux de l’ordre des architectes, ni le conseil national de l’ordre des architectes qui sont compétents en matière disciplinaire.

Cette fonction est confiée à des juridictions (qualifiées de juridictions administratives spécialisées) appelées « chambres régionales de discipline des architectes » (article 27 de la loi n° 77-2 du 3 janvier 1977 sur l’architecture).

Il convient cependant de procéder d’emblée à une clarification. Les chambres régionales de discipline des architectes ne sont compétentes qu’en matière de manquements déontologiques des architectes.

Elles ne sont pas compétentes pour connaître des litiges relatifs aux opérations de construction telles que la mise en jeu de la responsabilité contractuelle de l’architecte ou la mise en œuvre de la garantie décennale. En effet, ces actions en responsabilité relèvent de la compétence des juridictions civiles de droit commun.

Les chambres régionales de discipline des architectes ont pour seule fonction de connaître des manquements déontologiques (autrement dit des manquements à la loi n° 77-2 du 3 janvier 1977 et au code de déontologie des architectes) et de les sanctionner.

Leur fonction est purement disciplinaire (sanctions) et non pas indemnitaire.

Aussi, pour y voir un peu plus clair sur cette procédure, il est nécessaire d’aborder trois sujets distincts :

  • Comment la plainte est déposée contre un architecte ? En effet, la procédure de plainte disciplinaire en matière déontologique suit un certain nombre de règles et n’est pas ouverte à tous.

  • Comment fonctionne la procédure devant les chambres régionales de discipline des architectes ? Ces juridictions administratives spécialisées suivent une procédure qui donne des droits aux différentes parties.

  • Quels recours sont possibles contre les décisions des chambres régionales de discipline des architectes ? Comme la plupart des décisions juridictionnelles, des recours sont possibles contre les condamnations ou les refus de condamnations prononcés par les chambres régionales de discipline des architectes.

La réponse à ces trois questions doit permettre, d’une part, de mieux comprendre comment fonctionne la procédure disciplinaire et, d’autre part, de comprendre quels sont les droits des parties.

I. La « plainte » devant les chambres régionales de discipline des architectes

La saisine déontologique à l’encontre d’un architecte est qualifiée de « plainte » par le décret n° 77-1481 du 28 décembre 1977. Cette plainte ne peut pas être déposée par tout un chacun et ne peut pas porter sur tout sujet.

A. Qui peut saisir les chambres régionales de discipline des architectes d’une plainte ?

Les personnes qui peuvent déposer une plainte déontologique contre un architecte sont limitativement énumérées par l’article 27 de la loi du 3 janvier 1977 et l’article 43 du décret du 28 décembre 1977. Il s’agit :

  • Du conseil régional de l’ordre des architectes (qui a notamment pour mission de faire respecter la discipline dans la profession),

  • Du préfet,

  • Du commissaire du Gouvernement (qui est le représentant du ministre de la culture au sein du conseil régional de l’ordre),

  • Du procureur général.

En dehors de ces quatre autorités, nul n’est habilité à saisir la chambre régionale de discipline des architectes.

Cependant, cela ne signifie pas pour autant que, dans la pratique, il s’agisse des seules personnes qui puissent être à l’origine d’une action disciplinaire.

En effet, toute personne peut saisir les conseils régionaux de l’ordre des architectes pour dénoncer les manquements déontologiques d’un architecte. Certains conseils régionaux ont même mis en place des formulaires en ligne.

A la suite de cette saisine, le conseil régional de l’ordre des architectes examine les faits qui lui sont soumis et décide ou non de déposer une plainte auprès de la chambre régionale de discipline.

Ainsi, dans la pratique, la plainte déposée par le conseil régional de l’ordre des architectes provient souvent d’un tiers (généralement un client).

Ce tiers, qui a une position particulière, est qualifié de « personne intéressée » dans la procédure par le décret n° 77-1481 du 28 décembre 1977.

Dès lors, en pratique, toute personne peut dénoncer le manquement déontologique d’un architecte mais le conseil régional de l’ordre exerce un contrôle sur cette dénonciation et décide ou non de déposer une plainte.

B. Quel est l’objet de la plainte devant les chambres régionales de discipline des architectes ?

Comme indiqué brièvement supra, une plainte devant les chambres régionales de discipline des architectes a un objet bien déterminé.

Il est défini par l’article 41 du décret du 28 décembre 1977 : « Toute violation des lois, règlements ou règles professionnelles, toute négligence grave, tout fait contraire à la probité ou à l'honneur commis par un architecte, un agréé en architecture ou un détenteur de récépissé peut faire l'objet d'une sanction disciplinaire. ».

Ainsi, la plainte ne peut porter que sur trois objets limitativement énumérés :

  • La violation des lois, règlements ou règles professionnelles. En pratique, il s’agit principalement de la loi du 3 janvier 1977, du décret du 28 décembre 1977 et du code de déontologie. Il peut s’agit, par exemple, d’une faute consistant à signer un document que l’architecte n’a pas élaboré lui-même.

  • Toute négligence grave. Cela signifie donc qu’en dehors des fautes déontologiques clairement énumérées par les textes, toute erreur grave dans la mission d’un architecte peut conduire à une sanction. Ainsi, tout en respectant la déontologie, une erreur de jugement (que l’on pourrait regarder comme un manquement à l’obligation de compétence) peut être sanctionnée à condition qu’elle soit grave.

  • Tout fait contraire à la probité ou à l’honneur. Cette précision permet de viser les hypothèses qui ne seraient pas déjà expressément envisagées par les textes. Il s’agit donc en quelque sorte d’un cas d’ouverture « balai » qui concerne tous les cas qui ne seraient pas déjà visés en matière d’honneur ou de probité.

En dehors de ces trois hypothèses limitativement énumérées, les chambres régionales de discipline des architectes sont incompétentes.

Ainsi, en résumé, elles ne connaissent pas des litiges indemnitaires engagés par les clients des architectes (et pour cause, ces derniers ne peuvent pas les saisir). Elles ont uniquement une fonction de sanction disciplinaire.

C. Quelles sanctions sont prononcées par les chambres régionales de discipline des architectes ?

Le pouvoir des chambres régionales de discipline des architectes est limité par les textes.

En effet, l’article 28 de la loi du 3 janvier 1977 dresse une liste des sanctions qui peuvent être prononcées contre les architectes pour leurs manquements déontologiques, dans l’ordre croissant de gravité :

  • L’avertissement.

  • Le blâme.

  • La suspension de 3 mois à 3 ans (le cas échéant avec sursis). Cela signifie que l’architecte n’a plus le droit d’exercer son activité pendant une période déterminée et voit son cabinet généré au nom de l’ordre par un autre architecte en son absence.

  • La radiation du tableau. Il s’agit de la sanction la plus grave puisqu’elle conduit à écarter définitivement l’architecte de la profession.

Les chambres régionales de discipline des architectes ne peuvent donc pas prononcer d’autres sanctions que celles qui sont limitativement énumérées ici.

II. La procédure suivie par les chambres régionales de discipline des architectes

La procédure devant les chambres régionales de discipline des architectes est assez classiquement divisée en deux phases :

  • Une phase d’instruction,

  • Une phase de jugement.

Il est donc nécessaire d’évoquer successivement ces deux phases pour connaître le déroulement de la procédure et les droits des intervenants à la procédure de sanction.

A. La phase d’instruction

Deux éléments doivent ici être abordés, d’une part, le déroulement de l’instruction proprement dite et, d’autre part, les droits données à l’architecte qui est regardé comme la personne accusée.

  • Le déroulement de l’instruction

Avant le commencement de la procédure, la plainte est communiquée à différentes personnes (article 44 du décret du 28 décembre 1977) :

  • L’architecte poursuivi, qui est le principal intéressé, doit être informé dans les 15 jours de la saisine.

  • Le commissaire du Gouvernement près le conseil régional de l’ordre.

  • Le président du conseil régional de l’ordre (si la plainte émane d’une autre autorité que lui).

L’instruction de la plainte déposée par le conseil régional de l’ordre des architectes ou l’une des autres autorités visées par les textes est confiée à un rapporteur.

Celui-ci a des pouvoirs assez étendus dans le cadre de cette procédure puisqu’il peut procéder à des « auditions », à « toute enquête » et « toute confrontation » (article 46 du décret du 38 décembre 1977).

Ses pouvoirs sont donc larges et s’apparentent à ceux d’un véritable juge d’instruction (toute proportion gardée).

Néanmoins, il a l’obligation entendre certaines personnes :

  • L’architecte poursuivi,

  • L’auteur de la plainte (conseil de l’ordre, commissaire du Gouvernement, etc.),

  • La « personne intéressée » si la plainte a été déposée sur le fondement d’une dénonciation (par un client de l’architecte généralement).

Ces personnes doivent donc être obligatoirement entendues.

Ces auditions (ainsi que les éventuelles autres auditions) donnent lieu à un procès-verbal qui est signé par le rapporteur et par la personne entendue.

Les pièces du dossier sont alors communiquées aux parties qui peuvent présenter des observations écrites sur ces documents.

Après réception de ces éventuelles observations, l’instruction prend fin.

Au vu de ces éléments et des autres pièces du dossier, le rapporteur doit remettre un rapport dans un délai de 3 mois à compter de sa désignation.

Cependant, ce délai de 3 mois n’est pas prescrit à peine de nullité des poursuites (CE. CHR. 12 novembre 2020, n° 428931, mentionnée aux tables). Ainsi, en pratique, ce délai peut être dépassé, voire donner lieu à une prolongation comme le permettent les textes, sans entacher la procédure d’irrégularité.

  • Les droits de l’architecte

L’architecte, qui est la personne poursuivie, dispose d’un certain nombre de garanties dans le cadre de la phase d’instruction.

En effet, il peut être accompagné tout au long de la procédure par :

  • Un avocat,

  • Un architecte (mais il ne peut s’agir d’un membre du conseil de l’ordre).

Lesquels assurent sa défense.

L’architecte dispose donc de défenseurs.

De plus, il est entendu par le rapporteur (comme indiqué supra) et peut aussi produire des observations écrites.

B. La phase de jugement

Lorsque le dossier est en état d’être jugé, la chambre régionale de discipline des architectes convoque (1 mois avant l’audience) :

  • L’architecte poursuivi,

  • L’auteur de la plainte,

  • La « personne intéressée » si la plainte est fondée sur une dénonciation,

  • Les témoins.

Plusieurs points doivent être évoqués ici.

  • La consultation du dossier

Dans les 10 jours qui précèdent l’audience, le dossier complet est mis à disposition des parties et de la « personne intéressée ».

C’est seulement à ce moment-là que le rapport du rapporteur (qui est une pièce importante) est mis à la disposition des parties et principalement de l’architecte poursuivi.

Le délai ainsi donné est donc assez court avant l’audience.

Par ailleurs, la consultation se fait en principe, sur rendez-vous, au secrétariat de la chambre régionale de discipline (article 47 du décret du 28 décembre 1977).

Cette consultation sur place est assez contraignante puisqu’elle impose aux parties et à l’avocat de se déplacer pour prendre connaissance du dossier et du rapport.

Il est cependant possible de demander la communication électronique du dossier en motivant cette demande de consultation dématérialisée. Néanmoins, la chambre régionale de discipline des architectes n’est pas tenue de donner une réponse positive à cette demande de consultation par voie électronique.

  • L’audience

En principe, l’architecte poursuivi est tenu d’être présent à cette audience (article 49 du décret du 28 décembre 1977). Il peut cependant disposer d’un motif d’empêchement et envoyer, à la place, un mémoire.

L’audience est publique devant les chambres régionales de discipline des architectes (sous réverse d’un huis clos décidé par le président de la chambre pour des motifs d’ordre public ou de respect de la vie privée).

Le déroulé de l’audience est le suivant (article 48 du décret du 28 décembre 1977) :

  • Le rapporteur prend la parole en premier pour lire son rapport dans lequel il donne un avis sur les faits soumis à la chambre.

  • L’architecte poursuivi est ensuite interrogé.

  • Les témoins éventuels sont entendus.

  • Après ces auditions, l’auteur de la plainte ainsi que la « personne intéressée » peuvent présenter leurs observations.

  • Enfin, l’architecte poursuivi et ses défendeurs (avocat et/ou architecte qu’il a désigné) sont entendus en dernier.

Après que la parole ait été donnée à l’architecte, l’audience prend fin.

  • Le jugement

Les décisions rendues par les chambres régionales de discipline des architectes sont collégiales (en principe avec 3 juges). La chambre est présidée par un magistrat administratif (article 27 de la loi du 3 janvier 1977).

Le rapporteur n’est pas présent au délibéré (article 50 du décret du 28 décembre 1977).

En effet, ce dernier, dont les fonctions peuvent s’apparenter à celles d’un juge d’instruction n’est pas admis au délibéré.

Bien que la jurisprudence du Conseil d’Etat ne s’y oppose pas (ex : CE. Sect. 3 décembre 1999, n° 195512, publiée au Recueil ; CE. SSR. 12 décembre 2003, n° 238277, mentionnée aux tables ; CE. SSR. 27 février 2004, n° 245686 ; CE. SSR. 12 décembre 2007, n° 293301, mentionnée aux tables), le pouvoir réglementaire a exclu le rapporteur afin d’éviter tout débat.

C’est dans ce cadre que la décision est adoptée.

III. Les recours contre les décisions des chambres régionales de discipline des architectes

Les décisions des chambres régionales de discipline des architectes ne sont pas rendues en dernier ressort.

Elles peuvent faire l’objet d’un appel devant la chambre nationale de discipline des architectes.

  • L’appel devant la chambre nationale de discipline des architectes

La chambre nationale de discipline des architectes, située à Paris a compétence pour connaître des appels contre les décisions rendues par les chambres régionales de tout le territoire (article 52 du décret du 28 décembre 1977), lesquelles sont au nombre de 17 (Auvergne-Rhône-Alpes, Bourgogne-Franche-Comté, Bretagne, Centre-Val de Loire, Corse, Grand Est, Guadeloupe, Guyane, Hauts de France, Ile-de-France, La Réunion-Mayotte, Martinique, Normandie, Nouvelle Aquitaine, Occitanie, Pays de la Loire et PACA).

Elle est présidée par un conseiller d’Etat.

L’appel doit être interjeté dans un délai d’un mois (article 53 du décret du 28 décembre 1977).

Seuls peuvent faire appel de la décision devant la chambre nationale de discipline des architectes :

  • L’architecte sanctionné,

  • Les autorités pouvant déposer une plainte (conseil régional de l’ordre des architectes, préfet, commissaire du Gouvernement et procureur général).

  • En revanche la « personne intéressée » n’a pas de possibilité de faire appel.

La procédure suivie devant la chambre nationale de discipline des architectes est exactement la même que celle suivi en première instance (article 55 du décret du 28 décembre 1977).

Ainsi, les phases d’instruction et de jugement sont identiques et les droits des parties sont les mêmes : l’architecte est entendu, tout comme l’auteur de la plainte et la « personne intéressée » ; l’architecte poursuivi a le droit d’être assisté par un avocat ; etc.

  • L’intérêt de l’appel pour l’architecte sanctionné

L’appel présente un double intérêt pour l’architecte sanctionné.

▪ D’une part, s’il est le seul à faire appel de la décision de la chambre régionale, la sanction qui lui a été infligée en première instance ne peut pas être aggravée (article 29 de la loi du 3 janvier 1977).

Ainsi, il ne prend aucun risque à faire appel puisque la décision finale ne peut pas être plus défavorable que la décision initiale.

Cependant, ce principe ne vaut que si l’architecte est le seul à interjeter appel.

En effet, si l’une des autorités évoquées précédemment fait également appel dans le délai d’un mois, alors la sanction pourra être aggravée.

▪ D’une part, la sanction prononcée en première instance ne peut être mise à exécution jusqu’au terme de la procédure d’appel (article 28 de la loi du 3 janvier 1977).

Ainsi, la sanction n’est pas appliquée immédiatement. Son application est repoussée jusqu’au terme de l’appel.

Cela présente un intérêt pour l’architecte mais surtout pour l’utilité de l’appel.

En effet, si en appel la décision initiale est annulée et la sanction supprimée, cela n’aurait aucun impact si la sanction avait été appliquée dans l’intervalle.

De la sorte, au vu de ces principes, un appel n’est pas dangereux pour l’architecte poursuivi.

  • Le pourvoi en cassation

La décision d’appel de la chambre nationale de discipline des architectes peut elle-même faire l’objet d’un recours en cassation devant le Conseil d’Etat dans un délai de deux mois (article 56 du décret du 28 décembre 1977).

Cette possibilité d’un recours en cassation est classique puisque les décisions de toutes les juridictions administratives spécialisées rendues en dernier ressort peuvent faire l’objet d’un pourvoi en cassation devant le Conseil d’Etat.

Cependant, ce recours en cassation ne doit pas être considéré comme une sorte d’appel supplémentaire.

En effet, le Conseil d’Etat ne contrôle pas les faits en cassation (sauf dénaturation) et s’intéresse principalement aux questions de droit et de procédure.

De plus, comme le rappelle l’article 56 du décret du 28 décembre 1977, le pourvoi en cassation n’a aucun effet suspensif sur la décision de la chambre nationale de discipline des architectes.

C’est là une différence importante avec l’appel qui s’explique par l’office du Conseil d’Etat en cassation.

Ainsi, la décision d’appel doit donc, sauf circonstances particulières, être regardée comme le terme de la procédure devant les juridictions disciplinaires des architectes.

Aussi, une attention particulière doit être portée à la procédure d’appel.

Février 2022

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Date de dernière mise à jour : 17/02/2022