La France, comme la plupart des pays du monde, prévoit qu’il est possible pour son administration d’octroyer la nationalité à des ressortissants étrangers. C’est la naturalisation. Comme toute décision administrative, la naturalisation (et son refus) est encadrée par les textes, qui posent des conditions et des règles de forme. Les refus sont assez fréquents et peuvent être de différentes sortes (irrecevabilité, ajournement ou rejet). Afin d’y voir plus clair et de mieux distinguer ces différentes décisions pour pouvoir les contester, il est nécessaire de se pencher : sur les différents types de « refus » et sur les moyens de les contester.
Les « refus » de naturalisation sont en réalité de trois sortes, qui renvoient à trois hypothèses différentes et ont trois significations distinctes qu’il convient de comprendre (I.). Néanmoins, si ces décisions sont différentes sur le plan théorique, les modalités pratiques de recours contre elles sont les mêmes. Ces règles de recours (relativement complexes) doivent être bien comprises pour éviter de se voir un éventuel recours contre un refus de naturalisation rejeté pour des raisons de procédure (II.).
I. Quelles sont les trois catégories de « refus » de naturalisation ?
Les trois catégories de refus de naturalisation sont énoncées à l’article 27 du code civil et précisées par le décret n° 93-1362 du 30 décembre 1993. Il s’agit :
Avant de voir plus en détail ces trois types de décisions, il est nécessaire de rappeler que la naturalisation n’est jamais un droit. En effet, même si le demandeur (le « postulant ») remplit les conditions prévues par les textes, un refus est toujours possible, l’Etat demeurant libre (sous le contrôle du juge) de refuser d’octroyer la nationalité française à un demandeur.
C’est ce qui explique que le contrôle du juge soit limité à l’égard de ces décisions.
- La décision d’irrecevabilité
La décision d’irrecevabilité recouvre toutes les hypothèses dans lesquelles le postulant (le demandeur) ne remplit pas les conditions pour obtenir la naturalisation.
Elle est mentionnée à l’article 43 du décret n° 93-1362 du 30 décembre 1993, qui énumère, par renvoi, toutes les conditions de recevabilité de la demande de naturalisation.
Ces conditions nombreuses et assez diverses sont énoncées par le code civil. Elles peuvent se regrouper en deux catégories :
- Les conditions objectives (qui ne nécessitent pas ou peu d’appréciation de la part de l’autorité administrative) : résidence en France, âge, absence de condamnation à une peine de prison supérieure ou égale à six mois, etc.
- Les conditions subjectives (qui supposent une appréciation et une enquête en principe approfondie de la situation du postulant) : bonne vie, bonnes mœurs et assimilation à la communauté française.
Ce sont bien entendu ces conditions subjectives qui sont généralement discutées devant le juge. En effet, l’administration portant une appréciation sur les faits qui lui sont soumis, cette appréciation peut être critiquée.
Ainsi, la bonne vie et les bonnes mœurs désignent, en pratique, le comportement du postulant (à l’égard de l’administration des impôts, des organismes sociaux, etc.) et ses éventuelles condamnations même si l’existence d’une condamnation ne suffit pas en elle-même à regarder comme constituée l’absence de bonne vie ou de bonnes mœurs (CE. SSR. 3 février 1995, M. Choualiho X, n° 119365, mentionnée aux tables). Il est en effet nécessaire pour l’administration de se pencher sur le contenu de cette condamnation et ses motifs.
Ainsi, pour ces conditions subjectives, il n’est pas nécessairement possible de savoir à l’avance quels comportements seront regardés comme constitutifs ou non d’une absence d’assimilation, de bonne vie ou de bonnes mœurs.
C’est la raison pour laquelle de nombreuses circulaires ont été édictées sur ce sujet pour guider l’administration (circulaire NOR IOCN1114306C du 24 août 2011, circulaire NOR IOCN1132114C du 30 novembre 2011, circulaire NOR INTK1207286C du 16 octobre 2012, circulaire NOR INTK1300198C du 21 juin 2013).
C’est également ce qui explique que ces conditions soient celles qui sont le plus souvent discutées devant le juge.
- La décision d’ajournement
L’ajournement concerne en principe l’hypothèse dans laquelle le postulant remplit les conditions pour être naturalisé mais où l’administration décide d’ajourner la demande, c’est-à-dire d’imposer un délai ou des conditions avant que le postulant puisse faire une nouvelle demande.
Cette décision est prévue par l’article 44 du décret du 30 décembre 1993.
Néanmoins, dans la pratique, les décisions d’ajournement peuvent aussi concerner les hypothèses dans lesquelles l’administration estime que les conditions tenant à l’assimilation ou la bonne vie et les bonnes mœurs ne sont pas tout à fait remplies (exemples : CE. SSR. 25 mars 1994, M. Driss X, n° 135004 ; CE. SSR. 30 mars 1984, Ministre des affaires sociales, n° 40735, mentionné aux tables). L’administration impose alors généralement un délai qui est supposé permettre au demandeur d’améliorer sa situation.
Dès lors, en pratique, cette décision peut avoir deux objets :
- Le plus fréquent : imposer un délai pour permettre au postulant de remplir les conditions prévues par le code civil.
- L’objet de principe : imposer un délai ou des conditions, même si le postulant remplit les conditions prévues par le code civil.
Cette décision est donc un refus que l’on pourrait qualifier de refus « pour l’instant » ou « en l’état » mais qui n’est pas définitif.
La conséquence principale de cette décision est, en tout cas, pour le demandeur de lui interdire de déposer une demande dans le délai fixé par l’administration (généralement deux ans). Dans ces conditions, ses effets ne sont pas anodins et bloquent la situation du postulant pendant le délai déterminé par l’administration.
La décision de rejet concerne quant à elle l’hypothèse dans laquelle toutes les conditions sont remplies mais où l’administration décide de refuser, malgré tout, la naturalisation.
Cette décision est également prévue par l’article 44 du décret du 30 décembre 1993.
De prime abord, il est étonnant qu’un rejet puisse être opposé alors que les conditions légales fixées par le code civil sont remplies. Pour le comprendre il est nécessaire de se pencher sur la nature de la naturalisation.
En effet, la naturalisation est considérée comme une faveur accordée à un étranger, de sorte qu’il n’a jamais « droit » à cette naturalisation, qui peut toujours être refusée, même s’il remplit les conditions pour demander cette naturalisation.
Le Conseil d’Etat a résumé cette situation en énonçant que : « le fait de remplir les diverses conditions exigées […] ne donne aucun droit à obtenir la naturalisation, laquelle constitue une faveur accordée par l’Etat français à un étranger » (CE. SSR. 30 mars 1984, Ministre des affaires sociales, n° 40735, mentionné aux tables).
C’est cette hypothèse que recouvre le rejet : les conditions sont remplies mais un refus est malgré tout opposé.
Toutefois – et heureusement – cela ne signifie pas que l’administration est complètement libre de refuser en toute hypothèse. En effet, le juge administratif exerce un contrôle sur les décisions de rejet et leurs motifs. Il vérifie ainsi que l’administration n’a pas commis d’erreur de fait ou d’erreur manifeste d’appréciation (CE. SSR. 4 mars 1994, M. Kadiravel X, n° 119239, mentionné aux tables).
L’appréciation de l’administration est donc contrôlée (même s’il s’agit d’un contrôle restreint).
II. Comment contester un refus de naturalisation ?
La contestation d’un refus de naturalisation (qu’il s’agisse d’une décision d’irrecevabilité, d’une décision d’ajournement ou d’une décision de rejet) se fait en deux temps :
- Il faut tout d’abord former un recours administratif devant le ministre chargé des naturalisations,
- En cas de rejet de ce recours, il est possible de saisir le tribunal administratif de Nantes.
Les règles applicables à ces recours, qui vont être exposées ci-dessous, sont identiques quel que soit le type de refus. En effet, bien que ces décisions soient différentes, les règles procédurales (et la plupart des règles de fond) sont communes à l’irrecevabilité, l’ajournement et au rejet.
Après la notification de la décision de refus, le postulant (ou son avocat) peut former dans un délai de deux mois un recours administratif auprès du ministre chargé des naturalisations.
Ce recours est obligatoire si le demandeur souhaite saisir ultérieurement le tribunal administratif par la suite (article 45 du décret du 30 décembre 1993). En effet, s’il saisit directement le tribunal administratif et ne forme pas ce recours auprès du ministre, son recours sera jugé irrecevable (autrement dit, il ne sera pas examiné par le tribunal qui le rejettera par ordonnance).
Dans ce recours, le postulant devra exposer les raisons qui le conduisent à solliciter le réexamen de sa situation (c’est-à-dire les moyens de droit et de fait qu’il entend soulever).
Ce recours devra être adressé par courrier recommandé avec accusé de réception pour lui donner date certaine. A défaut, le demandeur ne pourra pas prouver devant le tribunal qu’il a bien formé un recours administratif (ce qui peut conduire à l’irrecevabilité de son recours).
Le ministre disposera alors d’un délai de quatre mois pour répondre au recours. Pendant ce délai, le ministre pourra, s’il le souhaite, ordonner un complément d’enquête à l’égard du postulant (par exemple pour vérifier son intégration).
Au terme du délai de quatre mois, si le ministre garde le silence et n’émet aucune décision écrite (positive ou négative), une décision implicite de rejet naîtra.
Une fois en possession de cette décision explicite ou implicite négative, le postulant n’aura plus d’autre solution que de se tourner vers le tribunal administratif.
- Le recours devant le juge
A compter de la décision du ministre (implicite ou explicite) un nouveau délai de deux mois commencera à courir. Dans ce délai le postulant (ou son avocat) devra introduire un recours devant le tribunal administratif de Nantes.
Ce tribunal est seul compétent pour se prononcer sur les décisions de refus de naturalisation.
Il doit en outre être indiqué que si la décision du ministre est implicite, le demandeur devra, dans le même délai de deux mois, solliciter la communication des motifs de cette décision (comme le permet l’article L. 232-4 du code des relations entre le public et l’administration).
En effet, les décisions de refus de naturalisation doivent être motivées (article 27 de la loi n° 98-170 du 16 mars 1998).
Or, le recours devant le ministre étant obligatoire, la décision de ce dernier se substitue à celle du préfet (voir, sur ce principe : CE. Sect. 18 novembre 2005, M. Patrick X, n° 270075, publiée au Recueil). Dès lors, c’est bien cette décision ministérielle qui doit in fine être motivée. Il est donc impératif de solliciter la communication des motifs puisqu’en l’absence de communication de ces motifs, la décision ministérielle sera jugée illégale.
En dehors de ce moyen tiré de l’insuffisance ou de l’absence de motivation, l’ensemble des moyens de forme et de procédure classiques peuvent être soulevés à l’encontre de ces décisions devant le tribunal administratif.
Sur le fond, le postulant pourra avancer différents moyens lui permettant de critiquer la substance de la décision (ses motifs).
S’agissant des décisions de refus de naturalisation – qui sont des décisions pour lesquelles l’administration dispose d’une large marge d’appréciation – le requérant pourra classiquement soulever :
- L’erreur de fait (CE. SSR. 4 mars 1994, M. Kadiravel X, n° 119239, mentionné aux tables), lorsque les faits relatés par la décision son erronés,
- L’erreur de droit (CE. SSR. 3 février 1995, M. Choualiho X, n° 119365, mentionnée aux tables), lorsque la décision n’est pas conforme aux textes (par exemple : si l’administration demandait une résidence en France de 10 ans au lieu des 5 années exigées par l’article 21-17 du code civil),
- L’erreur manifeste d’appréciation (CE. SSR. 4 mars 1994, M. Kadiravel X, n° 119239, mentionné aux tables), lorsque l’administration a manifestement mal apprécié les faits qui lui étaient soumis (par exemple : si l’administration tient compte de faits anciens et peu graves pour ajourner une demande),
- Le détournement de pouvoir (CE. SSR. 7 juillet 1995, M. M’Baye, n° 138041, publiée au Recueil) si l’administration utilise le refus de naturalisation dans autre but que celui qui lui assigné par les textes.
C’est donc au vu de ces éléments et de ces standards de contrôle que le tribunal jugera de la légalité ou non du refus de naturalisation et pourra, le cas échéant, enjoindre à l’administration de réexaminer la demande du postulant.
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Mars 2018
Voir l'article en PDF : Comment contester un refus de naturalisation ? (100.71 Ko)
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