Urbanisme 5

Préemption et DIA faite par une personne qui n'est plus propriétaire

Le 22/03/2024

En matière de préemption, il ne fait pas de doute que la déclaration d’intention d’aliéner (DIA) doit être faite par le propriétaire du bien pour que la collectivité puisse exercer son droit de préemption. Mais la situation peut être parfois moins claire comme cela ressort de la jurisprudence.

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L’article L. 213-2 du code de l’urbanisme indique très clairement que la déclaration d’intention d’aliéner (DIA) est faite par le propriétaire du bien.

Ce principe est donc clair et simple. Il ne paraît pas nécessiter une quelconque interprétation ou susceptible de créer un litige.

Cependant, et comme souvent, l’enchaînement des événements dans la pratique conduit à faire surgir des questions que l’on n’envisagerait pas en théorie.

C’est le cas par exemple dans la décision commentée ici (CE. CHR. 1er mars 2023, n° 462877, mentionnée aux tables).

En effet, dans cette affaire, la succession des événements était la suivante :

- Un propriétaire (qui était ici la collectivité territoriale de Guyane) avait fait une première déclaration d’intention d’aliéner (DIA),

- La commune sur le territoire duquel se trouvait le terrain avait renoncé à exercer son droit de préemption,

- Mais le propriétaire (la collectivité territoriale de Guyane) n’avait pas réalisé la vente et l’acheteur avait saisi les juridictions judiciaires pour qu’elles déclarent la vente « parfaite » (autrement dit, réalisée, par accord sur la chose et sur le prix),

- Le juge judiciaire avait alors donné raison à l’acquéreur.

C’est à partir de là que les choses se sont compliquées. En effet :

- Le jugement du juge judiciaire n’avait pas été signifié de sorte que le délai d’appel contre ce jugement n’avait pas commencé à courir. Le jugement n’était donc pas définitif,

- La collectivité territoriale de Guyane avait alors fait une nouvelle déclaration d’intention d’aliéner (DIA),

- La commune avait, cette fois, décidé de préempter le bien.

C’est cette décision de préemption qui faisait l’objet d’un litige et qui a donné l’occasion au Conseil d’Etat de se prononcer sur trois questions successives pour trancher la légalité de la décision de préemption :

Le jugement non signifié (non définitif) avait-il l’autorité de la chose jugée ?

Cette première question est intéressante même si, de prime abord, l’article 480 du code de procédure civil paraît lui donner une réponse simple.

En effet, ledit article prévoit que le jugement a « dès son prononcé » « l'autorité de la chose jugée ». Cet article laisse donc clairement supposer que la question de la signification ou non du jugement et l’éventuel appel contre ce jugement n’a pas d’incidence sur l’autorité de ce jugement.

Mais comme l’autorité des décisions de justice rendues par le juge judicaire devant le juge administratif est parfois plus complexe à appréhender (notamment en raison de l’autorité relative des décisions de justice rendues par le juge judicaire), la question pouvait se poser.

Toutefois, le Conseil d’Etat a tranché la question en considérant que l’article 480 du code de procédure civil imposait de regarder le jugement, même non définitif, comme ayant l’autorité de la chose jugée.

Il a, ainsi, réglé la première question qu’il avait à résoudre dans l’affaire qui lui était soumise :

La vente ayant été déclarée parfaite, le terrain n’appartenait plus à la collectivité territoriale de Guyane au moment où elle a déposé sa seconde déclaration d’intention d’aliéner.

La seconde déclaration d’intention d’aliéner (DIA) ouvrait-elle le droit pour la commune de préempter alors qu’elle avait renoncé antérieurement à préempter sur ce même bien ?

Le Conseil d’Etat a considéré sur cette deuxième question que l’article L. 213-2 du code de l'urbanisme impliquait qu’une nouvelle déclaration d’intention d’aliéner (DIA) faite par la même personne, sur le même bien et aux mêmes conditions permettait à la collectivité d’exercer son droit de préemption même si elle y avait renoncé lors d’une précédente déclaration d’aliéner (DIA).

Ainsi, le Conseil d’Etat a estimé qu’il n’y avait pas d’effet « cliquet » interdisant à la collectivité, lorsqu’elle avait renoncé à préempter un bien, à le préempter de nouveau. Ce qui n’aurait pas paru illogique.

Il aurait d’ailleurs même pu être considéré qu’en procédant ainsi, la collectivité retirait sa décision initiale de ne pas préempter et que cette décision était créatrice de droit.

Sa position sur ce point apparaît donc discutable.

La déclaration d’intention d’aliéner (DIA) faite par une personne qui n’est pas propriétaire ouvre-t-elle le droit de préemption ?

La réponse à cette question est, comme cela a été rappelé supra, assez aisé.

En effet, comme l’indique l’article L. 213-2 du code de l’urbanisme la déclaration d’intention d’aliéner (DIA) est faite par le propriétaire du bien.

Dès lors, si une personne n’est pas (ou plus) propriétaire d’un bien, elle ne peut logiquement procéder à une déclaration d’intention d’aliéner (DIA). Aussi, une décision de préemption faite après une DIA déposée par quelqu’un qui n’est pas propriétaire est illégale.

C’est donc ce qu’a rappelé le Conseil d’Etat dans la décision commentée en indiquant :

« 10. Il résulte de ces dispositions, en premier lieu, que le titulaire du droit de préemption sur un bien ne saurait légalement l'exercer, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, si la déclaration d'intention de l'aliéner a été faite par une personne qui, à la date de cette déclaration, n'est pas propriétaire du bien. […] ».

Ce principe logique méritait toutefois d’être rappelé dans cette affaire particulière du fait des circonstances de l’espèce.