Par une décision n° 418178 du 6 novembre 2019, le Conseil d’Etat apporte d’utiles précisions sur le régime de la des radiations des cadres prononcées à l’encontre des fonctionnaires exerçant dans un établissement scolaire en cas de une condamnation pour crime ou délit contraire aux mœurs, sans pour autant lever les doutes quant à la procédure applicable à ces décisions.
En effet, il convient de rappeler qu’en vertu de l’article L. 911-5 du code de l’éducation, il n’est pas possible d’être employé dans un établissement scolaire si l’on a été condamné pour un « crime ou délit contraire à la probité et aux mœurs ».
Dès lors, si le fonctionnaire est condamné au cours de sa carrière, il doit être radié des cadres. Cette condition primordiale à son employabilité n’étant plus remplie, il ne peut être maintenu dans les effectifs.
Toutefois, la nature exacte de cette décision et le régime auquel elle est soumise demeurent partiellement indéfinis.
- Concernant sa nature, la décision commentée apporte d’utiles précisions
En effet, la décision commentée, telle qu’éclairée par les conclusions du rapporteur public Raphaël Chambon, tranche la qualification de la décision de radiation des cadres prise en raison d’une telle condamnation.
1. Le Conseil d’Etat considère qu’il s’agit d’une décision recognitive et non d’une décision prise en vertu d’une compétence liée.
Cette précision, qui peut paraître purement technique de prime abord a en réalité une importance non négligeable puisqu’elle détermine les moyens qu’il sera possible de soulever contre la décision de radiation des cadres du fonctionnaire. En effet, ces deux types de décisions se distinguent :
- Les décisions recognitives se « bornent à constater » une situation qui préexiste (comme le rappelle Raphaël Chambon dans ses conclusions).
- Les décisions prises dans le cadre d’une compétence liée sont celles adoptées lorsque l’administration n’a aucun choix et aucune marge d’appréciation sur la conduite à tenir (CE. Sect. 3 février 1999, M. Montaignac, n° 149722, publiée au Recueil).
Comme le souligne Raphaël Chambon dans ses conclusions, la jurisprudence antérieure du Conseil d’Etat était contradictoire sur ce point, certaines décisions considérant que ce type de radiation des cadres est une compétence liée (CE 17 juin 1960, Baudot, p. 405 ; CE. SSR. 22 mars 1999, Georges Q, n° 191393, publiée au Recueil) tandis que d’autres ont jugé qu’il s’agissait d’un décision recognitive (CE. SSR. 22 avril 1992, Jacky Y, n° 99671, mentionnée aux tables ; CE. SSR. 21 avril 2000, Patrick G, n° 197388, mentionnée aux tables).
Cette divergence se retrouve d’ailleurs assez logiquement dans la jurisprudence des juridictions du fond, comme cela était indiqué dans un précédent commentaire La condamnation pour crime ou délit contraire aux moeurs d'un agent exerçant dans un établissement scolaire (pour des arrêts retenant la compétence liée : CAA Versailles, 2 novembre 2006, n° 05VE00120 ; CAA Bordeaux, 8 mars 2011, n° 10BX01886 ; pour un arrêt retenant le caractère recognitif : CAA Paris, 3 avril 2014, n° 13PA00415).
Dans la décision commentée, sur proposition du rapporteur public Raphaël Chambon, le Conseil d’Etat retient que ce type de décision est une décision recognitive.
Autrement dit, il estime que dans cette hypothèse, l’administration se borne à constater, par la radiation des cadres, la disparition d’un lien qui n’existe déjà plus.
En effet, comme le fonctionnaire ne remplit plus, dès sa condamnation, une condition essentielle de son employabilité, le lien est – virtuellement – rompu dès cette condamnation.
La décision de radiation des cadres du fonctionnaire ne fait donc que « tirer les conséquences » de cette incapacité.
2. Le Conseil d’Etat en déduit qu’en l’espèce, la décision de radiation des cadres pouvait légalement être rétroactive.
La radiation du fonctionnaire avait eu lieu le 3 mars 2015 mais prenait effet à la date de la condamnation définitive (soit le 29 octobre 2014). C’est ce que critiquait le fonctionnaire radié et la cour administrative d’appel lui avait donné raison.
En effet, il est jugé de manière constante qu’en principe un acte réglementaire ne peut pas être rétroactif. Autrement dit, il ne peut pas réglementer le passé (CE. Ass. 25 juin 1948, SARL du journal « L’Aurore », n° 94511, publiée au Recueil).
Toutefois, ce principe connaît des limites et notamment pour les décisions recognitives.
Comme ces décisions sont regardées comme ne faisant que prendre acte d’une situation préexistante, elles peuvent légalement réglementer le passé.
Dès lors, en l’espèce, le Conseil d’Etat censure l’arrêt de la cour et juge que la décision de radiation du fonctionnaire pouvait prendre effet à une date antérieure à son édiction (ce qui a pour conséquence pratique d’imposer le reversement par le fonctionnaire des salaires qu’il a perçus dans l’intervalle).
- Concernant son régime, la décision commentée laisse le débat ouvert
Comme l’indiquait le commentaire précédent, la question des moyens qui peuvent être soulevés à l’encontre de ces décisions de radiation des cadres reste en suspens.
En effet, il est désormais clair (sous réserve d’un nouveau revirement de jurisprudence) que les décisions de radiation des cadres prises à la suite d’une condamnation pour un crime ou délit contraire aux bonnes mœurs sont des décisions recognitives.
Les conclusions de Raphaël Chambon apportent d’utiles précisions sur le raisonnement en deux temps de l’administration :
- Dans un premier temps, elle porte une appréciation sur la nature de la condamnation, pour déterminer si elle est contraire à la probité ou aux bonnes mœurs.
- Dans un second temps, elle prend la décision recognitive de radiation des cadres dans laquelle elle tire les conséquences de l’incapacité.
Mais il n’est toujours pas déterminé avec clarté si le premier temps de la décision suppose la motivation de la décision et la communication du dossier à l’agent.
C’est ce qu’avait jugé la cour administrative d’appel de Paris dans deux arrêts (CAA Paris, 24 septembre 2013, n° 11PA05024 ; CAA Paris, 3 avril 2014, n° 13PA00415), en estimant que – même recognitive – la décision était en décision défavorable prise en considération de la personne puisqu’elle conduisait à la radiation de l’agent. Elle en a déduit que la qualification de condamnation contraire à la probité ou aux bonnes mœurs ne pouvait intervenir sans communication préalable de son dossier à l’agent et sans motivation de la qualification de condamnation « contraire à la probité et aux mœurs ».
Cette position apparaît logique dans la mesure où si le raisonnement débouche sur une décision recognitive, la première partie du raisonnement est, quant à elle, une qualification classique et constitue un acte défavorable à l’agent.
Toutefois, cette solution n’est confirmée ni par la décision du Conseil d’Etat (mais cette question ne lui était pas soumise) ni par les conclusions du rapporteur public qui n’abordent pas ce point.
Il est donc probable que la radiation des cadres pour la condamnation d’un fonctionnaire pour un crime ou délit « contraire à la probité et aux mœurs » continue à donner lieu à des litiges soumis au Conseil d’Etat.