Par une décision n° 411984 du 31 juillet 2019, le Conseil d’Etat aborde la délicate question des effets de la naturalisation de l’un des parents lorsque ce dernier a des enfants nés, à l’étranger, d’une gestation pour le compte d’autrui (ci-après GPA).
En effet, en principe, lorsqu’un postulant est naturalisé, ses enfants suivent le même chemin que lui, s’ils sont mineurs et s’ils résident avec lui. C’est ce que prévoit l’article 22-1 du code civil.
Ce principe est appliqué avec constance par les juridictions et n’appelle que peu de commentaires. Son fondement est logique, à savoir qu’il serait contraire à l’intérêt de l’enfant mineur de ne pas disposer de la même nationalité que ses parents.
En pratique, soit le décret de naturalisation mentionne initialement le nom des enfants et leur naturalisation, soit cette mention est ajoutée ultérieurement en cas d’oubli.
Dans l’espèce dont a eu à connaître le Conseil d’Etat dans la décision commentée, était en cause la naturalisation d’un ressortissant australien.
Ce dernier avait été naturalisé mais, ses deux enfants, nés d’une GPA au Colorado (où ce procédé est autorisé), n’avaient pas été mentionnés sur le décret de naturalisation. Quelques jours après la naturalisation, le ministre chargé des naturalisations a pris une décision indiquant expressément que cette naturalisation n’aurait aucun effet sur les deux enfants, ces derniers étant nés d’une GPA.
Pour justifier son raisonnement, le ministre se fondait sur l’article 16-7 du code civil qui déclare nulle toute convention ayant pour objet la gestation pour le compte d’autrui.
Le Conseil d’Etat avait donc à trancher l’articulation de ces différents textes avec, notamment, la Convention de sauvegarde des droits de l’Homme et la Convention des Nations-Unies sur les droits de l’enfant, qui consacrent toutes deux l’« intérêt supérieur de l’enfant ».
En effet, la Cour européenne des droits de l’Homme a par exemple considéré, dans un avis consultatif n° P16-2018-001 de Grande chambre rendu le 10 avril 2019 à la demande de la Cour de cassation française, que l’intérêt supérieur de l’enfant imposait que le lien de filiation entre la mère d’« intention » et l’enfant soit reconnu dans l’hypothèse où le lien de filiation avec le père biologique est établi et n’est pas contesté.
La Cour de cassation a d’ailleurs récemment tenu compte de cet avis en considérant que la transcription d’un acte d’état civil établi en Californie devait être, dans les circonstances de l’espèce, confirmée malgré l’existence d’une GPA (Cass. Plén. 4 octobre 2019, n° 10-19053, publiée au Bulletin).
La décision commentée apporte des éclairages sur la relation entre GPA et naturalisation à un double titre. En effet, le Conseil d’Etat tranche non seulement la question des effets de la naturalisation sur les enfants nés d’une GPA mais aborde également par un obiter dictum la question de la possibilité d’être naturalité pour une personne ayant eu recours, pour avoir des enfants, à la GPA.
● D’une part, le Conseil d’Etat relève que le recours à la GPA peut justifier le rejet d’une demande de naturalisation, en rappelant que la GPA est interdite en droit français.
Bien qu’il n’apporte de pas de précisions sur les motifs de cette position, cette décision paraît fondée sur la règle tiré de ce que le candidat à la naturalisation doit être de bonne vie et de bonnes mœurs (autrement dit, son comportement doit être conforme aux règles de droit et de moral nationales). Or, le recours à une GPA à l’étranger peut être soit regardé comme une fraude visant à contourner la loi française, soit comme un manquement à la morale publique (comme l’est, par exemple, la polygamie). C’est ce qui justifie, à n’en point douter, la décision du Conseil d’Etat.
Cette position confirme, au demeurant, celle adoptée par les juridictions du fond puisque la cour administrative d’appel de Nantes a déjà jugé que le recours à la GPA pouvait justifier un refus de naturalisation (CAA Nantes. CHR. 21 décembre 2017, n° 16NT01141).
● D’autre part, et en revanche, le Conseil d’Etat – abordant le fond du dossier – considère que si le ministre n’oppose pas au demandeur à la naturalisation la circonstance qu’il a recouru à une GPA, il ne peut pas utiliser cet argument pour refuser de naturaliser, en même temps, ses enfants.
En effet, le Conseil d’Etat estime qu’en l’espèce, dans la mesure où il n’est pas contesté que les actes d’état civil établis par l’Etat du Colorado sont authentiques, le droit au respect de la vie privée des enfants s’oppose à ce que la nationalité de leur père ne leur soit pas également reconnue.
Ainsi, le Conseil d’Etat s’inscrit dans le même courant que la Cour de cassation et la Cour européenne des droits de l’Homme et fait prévaloir l’intérêt supérieur de l’enfant sur les règles nationales.
Il va même plus loin que ces juridictions car, dans cette affaire, le lien biologique n’était établi qu’entre le postulant et l’un des deux enfants. Le second enfant étant l’enfant biologique de son époux.
Pourtant, le Conseil d’Etat fait bénéficier, sans distinction, les deux enfants de la nationalité française.
Cette question, pourtant tranchée par le Conseil d’Etat, ne ressort par des motifs de la décision mais des conclusions du rapporteur public Guillaume Odinet. En effet, le rapporteur public relève qu’en matière de transcription d’actes d’état civils étrangers, le juge civil n’accepte de transcrire l’acte que si le père était bien le père biologique.
Toutefois, il rappelle que n’est pas ici en cause la transcription d’actes d’état civil mais seulement la prise en compte de la filiation au stade de la naturalisation.
Il considère donc que la rigueur applicable en matière de transcription n’a pas à être transposée dans la mesure où les actes d’état civil établis par l’Etat du Colorado sont suffisamment probants. Mais surtout, il relève que l’intérêt supérieur de l’enfant s’oppose à une telle solution.
Il aurait, au demeurant, été quelque peu déconcertant de reconnaître l’effet collectif de la naturalisation pour seulement l’un des enfants du postulant au motif que le second est, biologiquement, l’enfant de son conjoint.
Ainsi, et in fine, le Conseil d’Etat estime que si l’Etat décide d’accorder à une personne sa naturalisation (ce qu’il est toujours en droit de refus puisqu’il n’existe aucun « droit » à la naturalisation : CE. SSR. 30 mars 1984, Ministre des affaires sociales, n° 40735, mentionné aux tables), alors il doit en faire également bénéficier ses enfants, même s’ils sont nés d’une GPA.