● Dans l’affaire qu’avait à juger la cour administrative d’appel dans cette affaire (CAA Nantes, 24 juin 2022, n° 21NT02834), la demanderesse à la naturalisation était entrée en France en 1984 à l’âge de 2 ans et y avait résidé depuis lors sans discontinuité.
Elle avait eu 4 enfants sur le territoire français, lesquelles vivaient avec elle. De plus, ses sœurs et son frère avait la nationalité française.
Elle avait donc demandé à être naturalisée française.
Cependant, le ministre avait refusé cette naturalisation en estimant que le père de son 4ème enfant étant en situation irrégulière, le centre de ses intérêts matériels et moraux n’était pas fixé durablement en France.
En effet, la circonstance que le parent de l’un de ses enfants n’est pas en situation régulière peut parfois être opposé, même lorsqu’il s’agit de l’ex-conjoint du demandeur (voir l’article : La fragilité du « centre des intérêts familiaux » pour les demandeurs à la naturalisation séparés de la mère ou du père de leurs enfants).
● La demanderesse avait néanmoins formé un recours contre le refus de naturalisation qui lui avait été opposé (voir l’article : Comment contester un refus de naturalisation ?).
Le tribunal administratif de Nantes avait fait droit à ce recours. Cependant, le ministre avait fait appel de ce jugement. La cour, saisie de cette affaire, confirme l’annulation de la décision du ministre.
En effet, pour annuler la décision du ministre, la cour retient une série d’éléments :
- La postulante est en France depuis 1984 et l’âge de 2 ans,
- Ses frères et sœurs ont la nationalité française,
- Ses quatre enfants vivent auprès d’elle,
- Elle n’est ni mariée, ni pacsée au père de son 4ème enfant et a bien précisé dans sa demande de naturalisation qu’elle ne l’associait pas à sa demande.
La cour estime donc que ces éléments suffisent à démontrer que la demanderesse à la naturalisation est durablement installée en France.
● De prime abord, cet arrêt paraît s’inscrire dans la droite ligne de la jurisprudence de la cour.
En effet, par une décision de principe désormais ancienne (CAA Nantes. Plén. 30 avril 1998, M. M'Bétiyanga, n° 96NT01979, mentionné aux tables), la cour avait considéré que la circonstance que l’épouse du demandeur était en situation irrégulière ne permettait pas de s’opposer à sa naturalisation dans la mesure où il vivait en France avec ses 4 enfants.
L’arrêt ici commenté reste donc dans le même esprit : une personne qui vit depuis longtemps en France avec des enfants en France ne peut se voir opposer le fait que son conjoint est en situation irrégulière.
Et ce, d’autant, qu’en l’espèce, le père du quatrième enfant de la requérante n’était ni marié, ni pacsé avec elle et ne paraissait pas être le père de ses 3 premiers enfants.
● Cependant, il faut souligner que la jurisprudence de la cour administrative d’appel de Nantes n’est pas toujours aussi claire qu’il pourrait y paraître.
En effet, dans une affaire commentée sur ce blog (La fragilité du « centre des intérêts familiaux » pour les demandeurs à la naturalisation séparés de la mère ou du père de leurs enfants ; CAA Nantes, 3 juillet 2020, n° 19NT01012), la cour avait considéré, pour un requérant qui vivait en France depuis ses 7 ans et avait 43 ans, que le fait que la mère de son enfant (dont il était séparé) était en situation irrégulière permettait de justifier le refus de naturalisation opposé au demandeur.
Les positions adoptées dans ces différentes affaires apparaissent donc, de prime abord, contradictoires puisque, parfois, la circonstance que l’époux ou l’épouse du postulant vive en situation irrégulière ne permet pas de s’opposer à la demande de naturalisation et, parfois, la circonstance que l’ex-conjoint du demandeur soit en situation irrégulière permet de s’opposer à la naturalisation.
S’il fallait néanmoins trouver une logique entre ces 3 affaires (celle jugée le 30 avril 1998, celle jugée le 3 juillet 2020 et celle jugée ici), il faudrait considérer que la différence principale est que dans la première et la dernière, les demandeurs à la naturalisation avaient eu plusieurs enfants avec des personnes différentes, de sorte que la circonstance que le père ou la mère de l’un de ces enfants ne soit pas en situation régulière ne pouvait avoir d’incidence sur la durabilité de l’établissement en France étant donné la présence des autres enfants.
Néanmoins, cette explication aurait ses limites car, à l’inverse, il ne peut être nié que l’époux.se ou le/la concubin.e du demandeur à la naturalisation a plus d’importance sur le centre de ses intérêts matériels et moraux que son ex-compagne ou ex-compagnon.
Dans ces conditions, il faut surtout en déduire que, malheureusement, dans ce domaine comme dans d’autres, en matière de naturalisation, la position de la cour administrative d’appel de Nantes (et plus généralement des juridictions administratives) n’est pas toujours très constante.