Par un arrêt n° 21NT01020 du 5 juillet 2022, la cour administrative d’appel de Nantes confirme cette position en estimant que le postulant, qui travaillait – en France – pour la banque postale de son pays d’origine et tirait donc ses revenus de cette société n’avait pas fixé durablement le centre de ses intérêts matériels en France et ne peut être naturalisé.
Comme cela a déjà été exposé (Qu’est-ce que la condition de résidence en matière de naturalisation ?), la « résidence » en France implique de tirer ses revenus, ou en tout cas une partie de ses revenus, de biens ou d’activités situées en France même si, là encore, la jurisprudence ne brille pas toujours par sa clarté.
Dans l’affaire commentée ici, le demandeur à la naturalisation, de nationalité congolaise, travaillait en tant que contrôleur général auprès de la Banque postale du Congo mais exerçait sa profession en France.
Il avait demandé sa naturalisation mais s’était vu opposer un refus, motivé par l’origine de ses revenus.
Le tribunal administratif de Nantes, saisi du litige, avait annulé la décision du ministre mais ce dernier a fait appel du jugement rendu par le tribunal.
Dans l’arrêt commenté, la cour prend la position inverse du celle du tribunal et estime que l’intégralité des revenus du postulant provenant de son travail comme contrôleur général à la Banque postale du Congo, et donc de l’étranger, il conserve un « lien particulier » avec son pays d’origine et ne peut être regardé comme ayant durablement fixé en France le centre de ses intérêts matériels.
Cette position, bien que sévère, s’inscrit dans le courant actuel de la jurisprudence qui est de plus en plus rigoureuse sur ce point.
● D’une part, concernant les personnes qui vivent en France mais n’y travaillent pas et tirent l’ensemble de leurs revenus, soit d’activités exercées à l’étranger, soit d’actions ou de biens immobiliers à l’étranger, la jurisprudence fait, en réalité, dépendre la solution qu’elle retient des liens familiaux du demandeur en France.
En effet, il a été jugé :
- Pour des personnes, en couple, ayant des enfants en France et y vivant depuis un certain temps, que cela n’était pas un obstacle à leur naturalisation (CAA Nantes, 30 décembre 1997, Epoux Hadadine, n° 96NT01761 ; confirmé par : CE, 9 février 2000, Ministre de l’emploi, n° 194888 ; CE. Sect. 28 février 1986, Ministre des affaires sociales c. Bouhanna, n° 57464, publiée au Recueil).
Il apparaît donc que le traitement dépend surtout de la vie familiale du demandeur puisque les familles avec enfants semblent faire l’objet d’un traitement plus favorable. Néanmoins, au vu du caractère de plus en plus restrictif de la jurisprudence sur ce point, il n’est pas certain que cette solution se maintienne pour les personnes ayant des enfants en France et y vivant depuis de nombreuses années.
● D’autre part, pour les personnes travaillant en France, mais pour un employeur étranger, la jurisprudence paraît être devenue plus sévère.
En effet, initialement, le fait de travailler, après un recrutement local, pour une ambassade étrangère n’était pas considéré comme s’opposant à la naturalisation du demandeur (à condition cependant que son activité soit purement administrative et non diplomatique) : CE. SSJS. 16 décembre 1994, Ministre des affaires sociales c. Khodari, n° 140589 ; CE. SSR. 3 novembre 1995, Epoux Zerrouki, n° 145638.
Cependant, cette solution paraît avoir évoluée depuis lors, pour se durcir s’agissant des personnes travaillant pour une administration ou une entreprise étrangère en France si cette administration ou entreprise vient du pays d’origine du demandeur.
Plus précisément, le Conseil d’Etat a considéré que, dans une hypothèse où le postulant travaillait pour une ambassade, le « lien particulier unissant encore le requérant à son pays d'origine » s’opposait à sa naturalisation (CE. CHS. 28 novembre 2016, n° 394814). Mais il s’est fondé pour cela non pas sur le centre des intérêts matériels du postulant mais sur le fait que ce lien n’était pas « compatible avec l'allégeance française ».
● C’est dans ce courant que s’inscrit l’arrêt commenté même si la cour administrative d’appel de Nantes va, en réalité, plus loin.
En effet, comme indiqué supra, le demandeur à la naturalisation travaillait ici pour une banque. La question de « l’allégeance française » visée par le Conseil d’Etat n’était donc pas en cause.
La cour s’est donc fondée sur les intérêts « matériels » du demandeur à la naturalisation en estimant qu’ils n’étaient pas en France du fait du « lien particulier unissant encore le requérant à ce pays ».
Cette position apparaît donc encore plus sévère que celle du Conseil d’Etat puisqu’elle semble exclure qu’une personne travaillant France, pour une simple société, soit regardée comme ayant en France le centre de ses intérêts matériels si cette société est établie dans son pays d’origine.