Fonction 6

Le cumul d’emploi sans autorisation et les carences dans l’encadrement d’un enseignant-chercheur justifient sa suspension

Le 05/06/2023

Par une décision n° 458362 du 1er juin 2022, le Conseil d’Etat donne un exemple d’application du régime de la suspension des enseignants-chercheurs à l’université.

Bouton

En effet, dans cette affaire, était en cause un enseignant-chercheur qui était accusé d’avoir cumulé son poste de professeur des universités avec des fonctions dans une entreprise privée et dans une autre université, de sorte qu’il avait négligé ses devoirs envers son administration.

Au vu de ces accusations, le président de l’université avait suspendu l’enseignant-chercheur et avait lancé une procédure disciplinaire à son encontre.

Le professeur des universités avait alors formé un recours contre sa suspension en référé devant le Conseil d’Etat. Cependant, par la décision commentée, le Conseil d’Etat rejette son recours.

  • Sur les principes

Il est nécessaire de rappeler que les enseignants-chercheurs ne sont pas soumis au régime général de la suspension prévu par les articles L. 531-1 et suivants du code général de la fonction publique (voir l’article : La suspension dans la fonction publique).

En effet, leur suspension est régie par l’article L. 951-4 du code de l’éducation (voir : Le Conseil d’Etat précise les différentes possibilités de suspension des PUPH ; La suspension d’un fonctionnaire de l’enseignement supérieur ne peut jamais dépasser 1 an) et suit un régime particulier.

Ainsi, pour pouvoir suspendre un enseignant-chercheur, deux conditions doivent être remplies :

  • D’une part, l’existence de fautes présentant un caractère suffisant de vraisemblance et de gravité (cette condition est classique et commune à toute la fonction publique),

C’est donc au vu de ces principes que le Conseil d’Etat examine ici le recours.

  • Le cumul d’activité et les carences permettent de suspendre l’enseignant-chercheur

Le Conseil d’Etat rejette ici le recours en estimant que les conditions sont remplies pour permettre la suspension.

Tout d’abord, il estime que le cumul d’emploi est ici fautif puisqu’il n’a pas été autorisé, et ce, alors même que sur une partie de la période considérée, l’enseignant-chercheur était à temps partiel.

Il convient ici de préciser qu’il ne faut pas confondre le travail à :

  • Temps non-complet ou incomplet : dans cette hypothèse l’agent public est sur un poste qui correspond à moins de 35 heures. Dans cette hypothèse, les agents n’ont pas besoin de demander une autorisation de cumul d’activités.

  • Temps partiel : dans cette hypothèse, c’est l’agent qui demande à travailler moins de 35 heures alors que son poste est prévu pour 35 heures. L’agent est alors obligé de demander une autorisation de cumul d’activités.

Cette distinction, ténue pour les profanes, a cependant une grande importance pour les agents publics comme le Conseil d’Etat le démontre ici.

L’enseignant-chercheur étant en l’espèce à temps partiel et non à temps incomplet ou non-complet, il devait donc bien demander une autorisation de cumul d’activités, ce qu’il n’a pas fait.

Ainsi, la première condition tenant à l’existence, suffisamment grave et vraisemblable, d’une faute est remplie.

Ensuite, le Conseil d’Etat estime que les carences de cet enseignant-chercheur dans l’encadrement pédagogique et administratif perturbent le fonctionnement du service public universitaire.

De la sorte, la seconde condition, tirée de la perturbation du service public université est remplie.

C’est la raison pour laquelle le Conseil d’Etat valide la suspension.

Enfin, cet arrêt est intéressant à un autre titre dans la mesure où le Conseil d’Etat ne se borne pas à regarder les faits comme suffisamment vraisemblable mais les considère, en réalité, comme établis.

En effet, les termes utilisés par le Conseil d’Etat sont affirmatifs.

Or, en principe, les faits ne devraient pas être regardés comme établis tant que le conseil de discipline ne s’est pas réuni et qu’il n’a pas été statué sur les faits reprochés à l’agent public (puisque le principe de la présomption d’innocence s’appliquer aux sanctions administratives : décisions du Conseil constitutionnel n° 88-248 DC du 17 janvier 1989 et n° 2009-580 DC du 10 juin 2009).

Or, au cas présent, les éléments retenus au paragraphe 6 de l’arrêt sont extrêmement affirmatifs de sorte que le Conseil d’Etat regarde, en réalité, ces faits comme établis.

Une telle position, qui consiste à regarder les faits comme établis, alors qu’aucune sanction n’a encore été prononcée, apparaît problématique pour deux raisons :

  • D’une part, une suspension n’est pas considérée comme une sanction par le Conseil d’Etat mais comme une mesure provisoire permettant (principalement) une enquête de sorte que les juridictions administratives ne devraient pas, elles-mêmes, regarder la faute comme constituée alors qu’il n’y a pas encore eu sanction.

  • D’autre part, une telle posture limite la marge de décision de l’administration ayant à statuer sur une éventuelle sanction de l’agent faisant l’objet de la procédure. En effet, il semble exclu qu’aucune sanction ne soit prononcée puisque les faits ont été regardés comme établis par le Conseil d’Etat. Une telle interférence (avant même que toute décision ait été prise) du juge est donc problématique.