Comme cela a déjà été exposé précédemment, les principes en matière d’impartialité et de composition des jurys ont été fixés par différentes décisions successives (CE. CHR. 17 octobre 2016, Université de Nice-Sophia Antipolis, n° 386400, mentionnée aux tables ; CE. SSR. 8 juin 2015, M. A c. Ministre de l'enseignement supérieur, n° 370539, mentionnée aux tables).
Il ressort de ces décisions que :
- La connaissance par l’un des membres du jury d’un des candidats ne suffit pas à le regarder comme partial,
- Tel est en revanche le cas si ses liens avec un candidat tenant à la vie personnelle ou aux activités professionnelles seraient de nature à influer sur son appréciation,
- Si le membre du jury est impartial ou craint de l’être et ne participe pas aux interrogations relatives à un candidat, il doit s’abstenir de participer à l’ensemble de la procédure (du fait du principe d’unicité des jurys).
Dans les décisions commentées (CE. CHR. 13 octobre 2023, Mme B c. Université de la Réunion, n° 461026, mentionnée aux tables ; CE. CHR. 13 octobre 2023, Mme D c. Université de Nantes, n° 459205, mentionnée aux tables), le Conseil d’Etat a apporté des précisions complémentaires sur deux points :
● La nature des liens qui permettent de regarder un membre du jury comme partial
Comme cela avait été ici (Quelles implications au principe d'impartialité dans les jurys au sein des universités ?), il est difficile de définir les « liens, tenant à la vie personnelle ou aux activités professionnelles, qui seraient de nature à influer sur [l']appréciation » de l’un des membres du jury.
● La comparaison des solutions rendues dans la décision rendue le 12 décembre 2018 (CE. CHS. 19 décembre 2018, n° 412540, inédite) et la décision du 13 octobre 2023 (CE. CHR. 13 octobre 2023, Mme B c. Université de la Réunion, n° 459205, mentionnée aux tables) montre la difficulté qu’il peut y avoir à apprécier si, oui ou non, les éléments sont suffisants pour considérer que les liens sont tels qu’ils peuvent porter atteinte à l’impartialité.
En effet, dans l’affaire jugée en 2018, le Conseil d’Etat avait jugé que la circonstance que l’un des membres du jury, président de l’institut dans lequel exerce le candidat malheureux, se soit opposé à ce dernier lors d’une réunion d’institut un an avant la délibération et ait cosigné plusieurs articles avec le candidat finalement retenu n’était pas suffisante pour considérer que le membre du jury en question était partial.
En revanche, dans la décision ici commentée, le Conseil d’Etat a considéré que les éléments cumulatifs relevés démontraient l’importance des liens. Ces éléments étaient les suivants à propos d’un candidat en particulier :
- Ce candidat était membre du laboratoire que dirigeait le membre du jury en question,
- Ce membre du jury avait encadré sa thèse,
- Ce membre du jury avait participé au jury de son habilitation à diriger des recherches (HDR),
- Ce candidat et ce membre du jury avaient publié ensemble des travaux scientifiques.
Le Conseil d’Etat a bien pris soin de préciser qu’« aucune de ces circonstances ne suffit, à elle seule, à caractériser un manque d'impartialité du membre du comité de sélection concerné à l'égard de ce candidat, leur cumul faisait, dans les circonstances particulières de l'espèce, obstacle » à la présence de ce membre du jury.
Autrement dit, il ne suffit pas qu’un candidat soit membre du laboratoire dirigé par l’un des membres du jury ou qu’ils aient publiés ensemble des travaux scientifiques pour que ce membre du jury soit automatiquement regardé comme partial.
C’est le cumul des quatre éléments relevés par le Conseil d’Etat qui l’a conduit à cette solution.
● Dans cette affaire, le membre du jury en question avait eu conscience de l’importance de ses liens avec le candidat et il n’avait pas participé à l’interrogation de ce candidat.
En revanche, il avait participé à l’interrogation des autres candidats et à la délibération finale qui (par essence) portait sur tous les candidats, même celui qu’il connaissait.
Ainsi, son comportement n’a pas été conforme aux exigences du Conseil d’Etat rappelées ci-dessus.
En réalité, les principes d’unicité et d’impartialité du jury ont tous deux été méconnus ici :
- D’une part, le principe d’unicité puisque, si le membre du jury s’abstenait de participer à l’audition de l’un des candidats, il devait s’abstenir de participer à tout le processus, le jury devant demeure composé de la même manière tout au long du processus.
- D’autre part, le principe d’impartialité puisque ce membre du jury ne pouvait pas participer à la délibération finale dans laquelle était en cause un candidat avec lequel il avait des liens particuliers.
C’est la raison pour laquelle la délibération du jury a été annulée par le Conseil d’Etat.
Ainsi, cela démontre la difficulté qu’il peut y avoir à déterminer le caractère suffisamment « étroit » des liens entre un candidat et un membre du jury, ainsi que les conséquences qu’il faut en tirer pour le jury.
En effet, ce lien ne peut pas être défini de manière théorique, mais dépend des espèces particulières.
Il convient par ailleurs de souligner que les conclusions du rapporteur public, M. Raphaël Chambon, sont éclairantes sur la philosophie du Conseil d’Etat en matière d’impartialité des jurys.
Plus précisément, dans ses conclusions, le rapporteur a invité le Conseil d’Etat à faire preuve d’une grande rigueur qu’il justifie ainsi :
« Le contrôle opéré sur ce point par le juge est en quelque sorte le corollaire de sa cécité quant à l’appréciation portée par cette instance collégiale : vérifier que la composition du comité respecte l’exigence d’impartialité permet de s’en remettre à lui les yeux fermés quant à la valeur scientifique des candidats, dont on sait qu’elle n’est appréciée par lui qu’en considération des mérites de chacun à l’exclusion de toute autre considération. ».
Autrement dit, les jurys étant totalement souverains sur les mérites des candidats (le juge administratif refusant d’examiner ces appréciations), le juge doit être particulièrement attentif à cette impartialité.
● L’absence injustifiée de l’un des membres du jury entache automatiquement la régularité du jury
Dans la seconde affaire, le Conseil d’Etat a eu l’occasion de préciser, concernant la composition des jurys, que l’absence de tout membre du jury devait être justifiée et qu’en l’absence de justification, la composition du jury était irrégulière.
En effet, comme l’a rappelé M. Chambon dans ses conclusions sur cette décision, l’absence d’un membre du jury doit être justifiée, qu’il s’agisse d’un jury d’examen ou de concours :
« Il faut donc vérifier, comme pour toute absence du membre d’un jury, si elle est justifiée par un motif légitime, exigence qui vaut tant pour un jury d’examen que pour un jury de concours (Section, 5 février 1960, Premier ministre c/ Y… et Z…, p. 86 ; 4/1 SSR, 30 juin 1978, Dame AJ…, n° 90338, au Recueil ; 10/7 SSR, 27 octobre 1993, AB…, n° 120442, aux Tables sur un autre point). ».
Or, dans l’affaire commentée ici, un membre du jury était absent sans donner une excuse valable (étant précisé que, pour le Conseil d’Etat, et comme l’a rappelé M. Chambon dans ses conclusions, l’engagement dans un autre jury n’est pas une excuse valable).
Aussi, le Conseil d’Etat a considéré que le jury était irrégulièrement composé.
En conclusion, ces deux affaires sont éclairantes, l’une sur les liens qui portent atteinte à l’impartialité d’un jury et l’autre sur les conséquences de l’absence injustifiée de l’un des membres du jury.