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Le droit à la communication des documents administratifs est désormais bien établi et même consacré constitutionnellement (voir l’article : L'accès aux documents administratifs est un droit constitutionnel). Néanmoins, se pose toujours la question des limites de ce droit. Dans la décision ici commentée, le Conseil d’Etat a eu l’occasion de préciser cette limite à propos des établissements d’enseignement privés sous contrat.
● Les établissements d’enseignement privés sous contrat exercent une mission de service public
Il ne fait pas de doute que les établissements d’enseignement privés sous contrat exercent des missions de service public.
En effet, le Conseil d’Etat a, de très longue date, considéré que des personnes privées pouvaient être chargées d’un service public et, ce faisant, partiellement justiciables devant le juge administratif et non pas uniquement devant le juge judiciaire (CE. Ass. 13 mai 1938, Caisse primaire « Aide et protection », n° 57302, Rec.).
S’agissant des établissements d’enseignement privés sous contrat, les juridictions administratives et le Tribunal des conflits ont eu l’occasion de considérer que ces établissements étaient chargés d’une mission de service public (TA Pau, 10 décembre 1985, Mme Darricadère, mentionné aux tables ; CE. SSR. 26 mai 2004, Epoux Z c. Lycée français René-Goscinny de Varsovie, n° 259682, mentionnée aux tables ; TC, 27 novembre 1995, Consorts X c. Collège Saint-Antoine de Lannilis, n° 02963, publié au Recueil).
Il ne fait donc pas de doute qu’ils agissent, à certains moments, comme des administrations et que certains litiges relèvent de la compétence du juge administration.
● En principe, seules les prérogatives de puissance publique relèvent du juge administratif
Le fait que les établissements privés d’enseignement sous contrat exercent une mission de service public ne signifie pas que tous les litiges entre les parents et ces établissements relèvent du juge administratif.
Seule une petite partie des litiges relèvent du juge administratif. Il s’agit de ceux qui mettent en cause des « prérogatives de puissance publique ». Autrement dit, lorsque ces établissements exercent des fonctions qu’une personne privée classique n’exerce pas.
Ainsi, lorsqu’un établissement d’enseignement privé sous contrat décide de faire redoubler un étudiant, ce litige ne relève pas du juge administratif (CE. SSR. 28 juin 1995, M. Marc X c. Ecole supérieure d’optique, n° 75258 108281 110416, mentionnée aux tables). Mais à l’inverse, lorsque cet établissement délivre un diplôme, il exerce alors des prérogatives de puissance publique et le litige relève du juge administratif (même décision).
De même, les sanctions disciplinaires infligées aux élèves et étudiants par un établissement privé sous contrat relèvent du juge civil car tout établissement peut émettre de telles sanctions, sans avoir besoin de prérogatives de puissance publique (CAA Versailles, 16 mars 2017, n° 16VE02733).
Il en va pareillement pour les décisions d’orientation des élèves (CE. SSR, 4 juillet 1997, n° 162264, publiée au Recueil).
En dehors de ces hypothèses, les litiges relatifs aux établissements d’enseignement privés sous contrat relèvent du juge civil.
● Pour la communication de documents administratifs, la question n’est pas l’existence de prérogatives de puissance publique
Dans l’affaire jugée par le Conseil d’Etat (CE. CHR. 13 novembre 2023, Mme D c. Direction diocésaine de l'enseignement catholique de Haute-Garonne, n° 466958, mentionnée aux tables) était en cause la demande par les parents de communication de différents documents relatifs à l’évaluation psychologique de leur enfant par des parents.
Se posait donc la question de savoir si ce litige relevait ou non du juge administratif.
Le tribunal saisi du litige avait considéré qu’il relevait des juridictions civiles car aucune prérogative de puissance publique n’était en cause. Il est donc probable que le tribunal s’était fondé sur la jurisprudence rappelée ci-dessus qui pouvait donner une assise à sa décision.
Cependant, telle n’est pas la solution retenue par le Conseil d’Etat.
En effet, la communication de documents administratifs suit une autre règle de compétence.
Plus précisément, en matière de documents, sont considérés comme administratifs par le Conseil d’Etat, tous les « documents […] produits ou reçus dans le cadre de sa mission de service public » qui se réfère ainsi au code des relations entre le public et l’administration.
Ainsi, pour un établissement d’enseignement privé sous contrat, tous les documents produits ou reçus au titre de la mission du service public de l’éducation sont administratifs et les litiges relatifs à leur communication relèvent du juge administratif.
Et ce, que ces documents soient ou non en lien avec des prérogatives de puissance public.
C’est ce que le Conseil d’Etat avait déjà jugé dans une affaire précédente (CE. CHR. 24 décembre 2021, M. B c. Association Territoires et Intégration Nouvelle-Aquitaine, n° 444711, mentionnée aux tables) et il réaffirme ce principe dans la décision commentée.
Ainsi, tous les documents produits ou reçus par une personne privée dans le cadre de sa mission de service public relèvent du juge administratif pour les litiges relatifs à leur communication.
Mais dans l’affaire qu’avait à juger le Conseil d’Etat, il a néanmoins rejeté le recours car les documents n’avaient pas été demandés à l’organisme gestionnaire de l’établissement mais à la direction diocésaine de l'enseignement catholique qui exerçait certaines compétences pour cet établissement.
Le fait que la direction diocésaine exerçait certaines compétences ne suffisait pas, pour le Conseil d’Etat, à la regarder comme étant chargée d’une mission de service public par l’Etat. Dans ces conditions, il a estimé que le litige relevait des juridictions civiles.
Aussi, cet exemple montre la particulière attention qui doit être faite lorsque des documents administratifs sont demandés à des personnes privées. En effet, il faut prêter une attention particulière à la personne à laquelle cette demande est adressée car, sinon, le recours sera rejeté.
Dans cette affaire, il est d’ailleurs probable que si la demande avait été présentée à l’organisme de gestion de l’établissement (qui devait probablement disposer des mêmes documents) le recours aurait été accueilli.
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