Les ordres de service sont utilisés quotidiennement par les maîtres d’ouvrages publics et leurs maîtres d’œuvre dans leurs relations avec les entrepreneurs. Or, il arrive fréquemment que ces ordres soient jugés contestables par les entrepreneurs : soit parce que les travaux qu’ils ordonnent ne sont pas compris dans le marché (cette critique est la plus courante), soit pour toute autre raison. Se pose donc nécessairement la question de savoir comment contester de tels ordres de service.
Comme l’indique l’article « Qu’est-ce qu’un « ordre de service » et quand est-il obligatoire ? », un ordre de service doit en principe être exécuté par l’entrepreneur titulaire d’un marché public.
Mais cela ne signifie pas pour autant qu’il ne doit pas pouvoir contester les choix du maître d’ouvrage ou du maître d’œuvre matérialisés par l’ordre de service.
En effet, il arrive fréquemment que les ordres de service conduisent à la réalisation de prestations qui n’étaient pas prévues initialement par le marché public ou à la modification des prestations initiales (comme le permet l’article 14 du CCAG travaux).
Dans cette hypothèse, il est parfaitement logique que l’entrepreneur puisse contester ces choix et, surtout, être payé pour ces prestations nouvelles.
Néanmoins, et en pratique, les possibilités de contestation sont assez restreintes (I.) et la demande d’indemnisation doit respecter un formalisme bien particulier (II.).
I. L’impossibilité de faire annuler ou bloquer par le juge un ordre de service
Il n’est pas possible pour l’entrepreneur de contester un ordre de service par un recours direct, visant à le faire annuler ou à bloquer son exécution.
Ce principe ancien reste appliqué avec constance malgré sa relative inadéquation avec la réalité de l’exécution des marchés publics.
? En effet, il est jugé de longue date qu’un recours visant à l’annulation d’un ordre de service est irrecevable (voir, par exemple : CE. SSR. 5 décembre 1984, Union régionale d’action contre les nuisances des avions, n° 25060, mentionnée aux tables).
Ainsi, aucun recours direct n’est possible pour l’entrepreneur. En effet, le principe posé dans cette décision exclut : le recours pour excès de pouvoir, le recours en contestation de validité et le référé-suspension.
De même, il n’est pas possible d’utiliser une autre voie de droit qui fasse obstacle à l’exécution d’un ordre de service. Le Conseil d’Etat a ainsi précisé, dans cette logique, qu’il n’était pas possible de former un référé dit « mesures utiles » (article L. 521-3 du code de justice administrative) si ce dernier a pour effet de faire obstacle à l’exécution d’un ordre de service (CE. SSR. 8 juillet 2009, Société Eurelec Aquitaine, n° 320143).
Dès lors, ce principe ne connaît aucune exception.
Une telle position est justifiée par le principe, plus large, selon lequel il n’est pas possible de faire annuler une mesure prise par le maître d’ouvrage ou le maître d’œuvre dans le cadre de l’exécution d’un marché public (CE. Sect. 24 novembre 1972, Société des ateliers de nettoyage, teinture et apprêts de Fontainebleau, n° 84054, publiée au Recueil).
Ce principe vaut donc pour toutes les mesures de :
- Sanction de l’entrepreneur,
- Direction et d’exécution du marché, qui passent par différents actes comme les ordres de service ou la réception d’un ouvrage (voir, sur l’impossibilité de la contester : TA de la Réunion, 3 octobre 2019, Commune de Saint-Leu, n° 1600051).
Dès lors, cette impossibilité de contester directement un ordre de service s’inscrit dans l’interdiction faite à l’entrepreneur de contester le pouvoir de direction et e sanction du maître d’ouvrage public.
- Un principe mal adapté mais confirmé
L’impossibilité de former un recours direct contre un ordre de service apparaît mal adaptée au vu des questions que peuvent poser un ordre de service.
En effet, comme l’indique l’article « Qu’est-ce qu’un « ordre de service » et quand est-il obligatoire ? », exécuter un ordre de service irrégulier peut conduire l’entrepreneur à perdre tout droit à indemnisation, même si les travaux ont été réalisés.
Etant donné cet enjeu pratique extrêmement important pour les entrepreneurs, la logique voudrait qu’un ordre de service puisse être contesté (dans l’idéal en référé) devant le juge du contrat afin que ce dernier puisse indiquer si et ordre est légal ou non.
Cependant, ces derniers sont privés de cette possibilité et doivent décider d’exécuter (avec le risque de ne pas être payé) ou de ne pas exécuter (avec le risque d’être sanctionné), un ordre de service qui leur paraît illégal.
Cette position défavorable n’apparaît pas susceptible d’évolutions à court terme.
En effet, s’agissant des décisions de résiliation, un tempérament important a été apporté au principe selon lequel il n’est pas possible de faire annuler une mesure d’exécution d’un marché public (CE. Sect. 21 mars 2011, Commune de Béziers, n° 304806, publiée au Recueil).
Plus précisément, il est désormais possible de demander la reprise des relations contractuelles à la suite d’une mesure de résiliation (ce qui revient, en pratique, à permettre de contester la décision de résiliation).
Toutefois, cette évolution est limitée aux seules décisions de résiliation.
Dans ces conditions, pour les ordres de service, le principe selon lequel ils ne peuvent être contestés directement demeure.
II. Une indemnisation possible en cas de « réserves » à l’ordre de service
Bien qu’il ne soit pas possible de faire annuler un ordre de service, il est en revanche – et fort heureusement – possible de demander à être indemnisé pour les conséquences de ces ordres de service.
En effet, il arrive fréquemment que les ordres de service servent à imposer des obligations qui ne pesaient pas initialement sur l’entrepreneur.
Il est donc logique qu’il puisse demander le paiement de ces travaux supplémentaires.
Toutefois, un certain formalisme doit être respecté pour pouvoir demander l’indemnisation du préjudice lié à ces ordres de service : ils doivent faire l’objet de « réserves ».
- Le caractère obligatoire des réserves
A la suite d’un ordre de service, le titulaire d’un marché public doit émettre des réserves s’il veut pouvoir ensuite demander le paiement des prestations commandées par cet ordre de service ou solliciter l’indemnisation du préjudice que lui cause cet ordre de service.
C’est ce qu’indiquent les articles 3.8.2 des CCAG « travaux » du 8 septembre 2009, « propriété intellectuelle » du 16 septembre 2009 et « fournitures courantes et de services » du 19 janvier 2009.
A défaut de réserve, aucune indemnisation n’est donc possible.
Ce principe a été posé très anciennement dans les CCAG et les documents qui les ont précédés. Il est appliqué avec constance par la jurisprudence (voir, pour un exemple ancien : CE, 13 mars 1896, Favril, Rec. p. 262 ; voir, pour un exemple récent : CAA Versailles 28 novembre 2006, Société d’installations électriques Viroulet-Roger, n° 04VE02102).
Il convient donc de bien émettre des réserves pour pouvoir demander une indemnisation ultérieure.
Pour pouvoir être efficaces et permettre de solliciter une indemnisation, il est nécessaire que les réserves respectent certaines règles :
- Elles doivent être formées dans un délai de 15 jours
Ce délai de 15 jours est commun à l’ensemble des CCAG « travaux », « propriété intellectuelle » et « fournitures courantes et de services ». Il est posé par l’article 3.2.8 de ces CCAG.
Ce délai est impératif.
Un arrêt isolé de cour administrative d’appel considère que ce délai n’est pas opposable si « les surcoûts directs et indirects » causés par les ordres de service « ne pouvaient être totalement appréhendés » à l’expiration de ce délai (CAA Versailles, 29 mars 2005, Syndicat des eaux d’Île-de-France, n° 02VE01940).
Cependant, rien n’indique que cette souplesse soit reprise par d’autres juridictions.
Il convient donc de considérer le délai de 15 jours comme un délai impératif devant être respecté dans tous les cas par l’entrepreneur.
Et ce d’autant que, comme cela va être indiqué ci-dessous, les réserves n’ont pas besoin d’être très développées.
- Elles doivent être adressées à la personne compétente
Les CCAG rappellent les personnes auxquelles les réserves doivent être adressées.
S’agissant des marchés de travaux, il s’agit du maître d’œuvre (article 3.8.2 du CCAG « travaux »).
S’agissant des marchés de fourniture, service et propriété intellectuelle, la réserve doit être adressée à l’auteur de l’ordre de service (articles 3.8.2 des CCAG « propriété intellectuelle » et « fournitures courantes et de services »).
Si les réserves sont adressées à une personne étrangère au marché (comme une autorité de tutelle) alors elles ne peuvent valablement produire leurs effets (CE, 13 juillet 1962, Société d’études et travaux de fondation et Société Pinel et Cie, aux tables, p. 1026). Autrement dit, l’entrepreneur sera regardé comme n’ayant fait aucune réserve.
Dès lors, il faut être particulièrement attentif sur le destinataire des réserves.
Il n’est pas nécessaire que les réserves soient développées.
Il faut et il suffit que l’entrepreneur indique qu’il conteste l’ordre de service et réclamera une indemnité du fait de cet ordre de service (CE. SSR. 7 juin 2010, Ville de Marseille, n° 316528, mentionnée aux tables).
Ainsi, il est particulièrement aisé d’émettre des réserves à un ordre de service.
Dans ces conditions, il est préférable, en cas de doute sur les conséquences d’un ordre de service, de former systématiquement des réserves à cet ordre.
En conclusion, comme indiqué supra, les conséquences de l’absence d’ordre de service sont radicales pour l’entrepreneur puisqu’il ne pourra alors plus demander à être indemnisé. Dès lors, et par sécurité, il ne faut pas hésiter à présenter systématiquement des réserves aux ordres de service dans le délai de 15 jours prévu par les CCAG.
Mai 2020
Voir l'article en PDF : Comment contester un ordre de service ? (97.08 Ko)
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