Par une décision n° 410561 du 22 décembre 2017, le Conseil d’Etat fait droit au recours des associations SOS Education, Promotion et défense des étudiants et Droits des lycéens, dirigé contre la circulaire du 24 avril 2017 ou circulaire « APB ». En effet, la Haute juridiction considère que cette circulaire est illégale au motif qu’elle conduit à la mise en oeuvre d’un tirage au sort trop fréquent dans les filières dites « en tension ».
Avant d’évoquer plus en détail le contenu de cette décision, il est nécessaire de rappeler le contexte juridique (voir la saga juridique) dans lequel s’inscrit cette décision relative au système APB, qui devrait être le point final de cette série de décisions – du moins jusqu’au le début de la saga Parcoursup qui commencera à n’en point douter en juin prochain.
1. En effet, la décision du Conseil d’Etat a été prise dans le contexte juridique délicat des inscriptions en première année à l’université qui a donné lieu à de nombreuses décisions de justice ces dernières années. Plus précisément, au cours des dernières rentrées universitaires, de nombreux candidats-étudiants à la première année de licence se sont vu refuser toute inscription à l’issue de la procédure APB. Face à cette année « blanche », certains d’entre eux ont saisi les juridictions administratives de recours contre ces refus.
A l’occasion de ces recours, et avec l’aide d’associations d’étudiants, il est apparu que l’algorithme d’affectation APB avait été « enrichi » d’un tirage au sort permettant de départager les étudiants. Or, cette méthode a été censurée par le juge administratif pour son absence de base légale (voir, par exemple, en ce sens : TA Bordeaux, 16 juin 2016, n° 1504236).
Pour tenter de pallier cette carence, le gouvernement a adopté, dans l’urgence, une circulaire n° 2017-077 du 24 avril 2017 afin de donner un début de base légale à ce système etr tenter de limiter le nombre de contentieux (voir l’article : quel effet pour la circulaire « APB » ?). Un recours en référé a alors été formé par plusieurs associations contre cette circulaire devant le Conseil d’Etat. Toutefois, par une ordonnance du 2 juin 2017, ce dernier a rejeté le recours, estimant que la condition d’urgence pour qu’il se prononce n’était pas remplie.
Cependant, des juridictions du fond se sont prononcées à l’occasion de refus d’admission opposés à des candidats à la première année. Tel est notamment le cas du tribunal administratif de Bordeaux qui a estimé, par trois ordonnances du 21 septembre 2017, que la circulaire APB était illégale dès lors qu’elle introduisait un quatrième critère de départage des candidats (à travers le tirage au sort) en plus des trois critères textuels déjà prévus.
Depuis lors, une réforme profonde de l’entrée à l’université a été décidée par le gouvernement instaurant – en pratique – un début de sélection pour l’accès à la première année. Bien que cette réforme ne soit pas encore adoptée, la plate-forme Parcoursup a déjà été mise en place.
Ainsi, cette nouvelle plate-forme et les nouvelles règles rendent caducs les débats relatifs à la procédure APB. Néanmoins, il est intéressant de rester attentifs aux décisions rendues à propos d’APB, lesquelles restent riches d’enseignements.
2. C’est donc dans ce contexte que, par la décision du 22 décembre 2017, le Conseil d’Etat s’est prononcé sur la légalité de la circulaire APB. Les enseignements de cette décision sont nombreux en matière de droit de l’éducation et, notamment, à propos de l’utilisation du tirage au sort comme mode de départage des candidats.
● En premier lieu, le Conseil d’Etat rappelle dans cette décision que l’article L. 612-3 du code de l’éducation établit, en principe, un droit pour les candidats à la première année d’être inscrit dans l’université de leur choix dans leur académie. Ainsi, la Haute juridiction reconnaît qu’il existe bien un libre choix de la filière et de l’université en première année (dans son académie d’origine). Jusqu’ici, le Conseil d’Etat ne paraissait pas l’avoir reconnu aussi clairement. C’est désormais chose faite.
Néanmoins, il rappelle également la limite de ce principe, à savoir les hypothèses dans lesquelles le nombre de candidatures dépasse le nombre de places. La Haute juridiction souligne que dans ce cas, l’article L. 612-3 du code de l’éducation prévoit trois critères de classement (domicile, préférences du candidat, situation familiale).
● En deuxième lieu, le Conseil d’Etat précise que ces dispositions, qui donnent compétence au ministre pour préciser les modalités de mise en œuvre de ces critères, lui donnent également compétence pour fixer les règles de départage des étudiants si les trois critères ne suffisent pas à le permettre. Ainsi, la Haute juridiction consacre expressément une possibilité pour le ministre d’aller un peu plus loin que les trois critères.
Elle précise également que ce départage peut se faire par tirage au sort. Dès lors, le Conseil d’Etat confirme que le tirage au sort n’est pas, en soi, une technique illégale. C’est ce qu’il avait déjà pu juger implicitement par le passé (CE. SSR. 5 novembre 2001, Ministre de l’éducation, n° 215351, mentionnée aux tables). Cependant, le Conseil d’Etat apporte une limite à ce principe en indiquant que le tirage ne peut intervenir qu’à titre « exceptionnel » afin de respecter le caractère limitatif des critères énoncés par l’article L. 612-3 du code de l’éducation.
Autrement dit, le tirage au sort ne pose pas de difficulté de principe au Conseil d’Etat. Mais il ne peut être utilisé qu’avec parcimonie et ne peut pas constituer une méthode générale de sélection, faute de quoi, le tirage au sort deviendrait un réel critère de sélection, non-prévu par le code de l’éducation.
Dès lors, le ministre doit fixer les modalités des trois critères de telle sorte qu’un départage soit exceptionnel.
● En troisième lieu, appliquant ces principes à la circulaire, le Conseil d’Etat considère qu’ils ont été méconnus. En effet, il relève que le tirage au sort a été appliqué dans un nombre important de filières « en tension ». Il en déduit donc que les modalités de mise en œuvre des trois critères, prévues par la circulaire, ne permettent pas de garantir qu’un départage n’aura lieu qu’à titre exceptionnel. Dans ces conditions, il considère que la circulaire méconnaît l’article L. 612-3 du code de l’éducation.
Cette position est intéressante à plusieurs titres :
- Tout d’abord, le Conseil d’Etat ne censure pas l’utilisation du tirage au sort mais les modalités de mise en œuvre des trois critères précédant ce tirage au sort. En effet, ce qu’il reproche au ministre, c’est de ne pas avoir trouvé des modalités d’application des trois critères permettant de faire en sorte que le tirage au sort soit utilisé de manière exceptionnelle.
- Ensuite, d’un point de vue contentieux, la méthode utilisée par la Haute juridiction est peu orthodoxe puisqu’elle se fonde sur l’application pratique de la circulaire pour en déduire qu’elle est illégale. En effet, c’est en constant que de nombreuses filières en tension ont fait l’objet d’un tirage au sort que le Conseil d’Etat estime que ce tirage au sort n’est pas exceptionnel et donc illégal. Il prend ainsi en compte des éléments postérieurs à l’émission de la circulaire pour juger de sa légalité méthode qui en principe ne peut être utilisée dans un contentieux d’excès de pouvoir).
- Enfin, le Conseil d’Etat fait application de la jurisprudence AC ! (CE. Ass. 11 mai 2004, Association AC !, n° 255886, publiée au Recueil) en modulant les effets de l’annulation de la circulaire en les limitant à l’avenir. Autrement dit, les inscriptions et refus d’inscription opposés sur le fondement de la circulaire demeurent légaux (sous réserves des décisions d’inscription ou de refus d’inscription qui ont fait l’objet d’un recours à la date de la décision du Conseil d’Etat).